Aujourd’hui, je vais vous parler de recadrage en photographie. Comment celui ci peut être utilisé à des fins artistiques. Mais avant ça, il va falloir définir et rappeler ce qu’est le cadrage.
Sommaire
Cadrer, qu’est ce que ça signifie ?
Cadrer, c’est choisir
La photographie est l’art de capter un instant, de figer un fragment du réel à travers un regard singulier. Mais plus qu’un simple enregistrement, elle est avant tout une affaire de choix. Cadrer, c’est décider. C’est isoler un sujet, sélectionner une portion du monde, autrement dit : tracer un rectangle autour des choses.
Et on ne peut pas parler de cadrage sans évoquer la composition : les deux sont indissociables. Si cadrer, c’est poser un cadre, composer, c’est organiser ce qui se trouve à l’intérieur.
Chaque élément placé dans l’image a une fonction, une influence sur l’ensemble. Ce que l’on inclut, ce que l’on exclut. Chaque choix façonne le message que porte l’image.
À chaque fois que vous prenez une photo sans que vous vous en rendiez forcément compte, plusieurs questions se posent : qu’est ce que je vais inclure dans ma photo ? qu’est ce que je vais exclure de ma photo ?
Si pour beaucoup, le cadrage est un geste instinctif, presque inconscient, pour un photographe, ça devient une réflexion. Certains peaufinent leur cadre au millimètre, d’autres réagissent plus spontanément à leur environnement. Aucune approche n’est meilleure qu’une autre : c’est avant tout une question de sensibilité et de démarche artistique.
Le cadrage dépend souvent du contexte dans lequel la photo est prise. Certaines situations offrent le luxe du temps, permettant au photographe d’affiner chaque détail de sa composition.
En 1973, le photographe américain Stephen Shore commence à utiliser un appareil photo grand format.

Il prend cette photo en 1975, avec ce type d’appareil, et l’utilisation d’un trépied. Chaque nouvelle image nécessite une préparation minutieuse : réglage du cadre, mise au point précise, attente du bon moment. Ce processus impose une approche réfléchie, presque contemplative.

À l’inverse, d’autres situations exigent une réactivité immédiate. En photographie de rue tout peut basculer en une fraction de seconde. Un instant d’hésitation, et la scène disparaît. Il faut alors cadrer dans l’urgence, anticiper, s’adapter au chaos du réel. Ici, pas le temps de peaufiner, le cadrage devient instinctif, guidé par l’expérience et l’intuition.

Deux approches radicalement différentes, mais aucune n’est meilleure que l’autre. Tout dépend du sujet, du contexte et de l’intention du photographe.
À quoi ça sert de recadrer ses photos ?
Si le cadrage est si important, pourquoi utiliser le recadrage et modifier les décisions effectuées à la prise de vue ?
La différence entre cadrage et recadrage
Recadrer : un second regard sur l’image
Si le cadrage se décide à la prise de vue, le recadrage, lui, intervient dans un second temps. C’est une seconde lecture de l’image, un ajustement, une possibilité de correction ou de réinterprétation.
Parfois, l’intention est présente dans une image, mais le cadre lui, n’a pas eu le temps d’être ajusté. Vous étiez trop proche, ou trop loin du sujet, un ou plusieurs éléments perturbateurs se sont glissés dans la composition. Un simple recadrage permet alors d’affiner, d’aller à l’essentiel, de recentrer l’attention sur le message que l’on veut transmettre. Le recadrage peut donc apporter une solution à posteriori à des problèmes rencontrés à la prise de vue.
Ce n’est pas un aveu d’échec. C’est un outil, une manière de perfectionner son image, de l’amener là où on le souhaite vraiment.
Les détails du bloc – Arthur Perrin
Voici une belle illustration de mon propos : dans sa série « Les détails du bloc », le photographe Arthur Perrin constitue une collection de détails extirpés de ses propres images de manifestations.
La manifestation est un environnement assez hostile à la photographie, le cadrage ne peut pas toujours être réalisé parfaitement à la prise de vue. Arthur Perrin a trouvé un moyen de contourner cette difficulté, par le recadrage afin de représenter l’intensité de la manifestation en trouvant un nouveau sens à l’intérieur de ses photographies. Après avoir accumulé sa matière première sur place dans la cohue générale, il reconfigure ses images dans un second temps lors de l’editing, pour focaliser l’attention sur des détails marquants.
Sa série capture le « Black bloc » = manifestation où des individus, souvent vêtus de noir et cagoulés, agissent de manière anonyme et collective pour défier l’autorité, perturber l’ordre établi ou protéger leur identité face à la surveillance policière.
Stratégie qui oscille entre autodéfense militante, sabotage ciblé et démonstration de force face aux institutions.

Toutes les images sont recadrées dans le même format carré de sorte à mettre en évidence le bloc, au beau milieu de l’agitation générale d’une scène plus large.

Le recadrage est donc une technique qui permet également d’extraire un détail marquant de son image, d’accentuer son effet. Sans ce recadrage important, ces images de manifestations auraient moins d’impact.



Ne pas avoir peur de recadrer
Il existe différentes façons de concevoir la photographie. Certains photographes refusent catégoriquement de recadrer leurs images. Ils considèrent que tout doit être parfait dès la prise de vue. Très bien, si cela leur convient.
Mais il existe aussi des puristes qui affirment qu’une image recadrée ou retouchée a moins de valeur qu’une image brute, obtenue telle quelle à la prise de vue.
Soyons clairs : c’est n’importe quoi.
Ce qui compte, évidemment ce n’est pas le procédé, mais l’image finale. Une photographie doit être jugée pour ce qu’elle exprime, pour l’émotion qu’elle transmet, et pas pour la capacité du photographe à la capturer d’un seul trait. Le recadrage n’est qu’un outil parmi d’autres pour servir cette intention.
Quelle que soit la manière dont la photographie a été réalisé, le plus important, c’est si elle vous fait ressentir quelque chose ou non. Recadrée ou pas, retouchée ou pas.
Seule l’image compte
Si vous avez envie de recadrer pour améliorer l’impact de votre image, faites le !
La photo recadrée la plus connue de l’histoire
Je ne suis pas le seul à recadrer mes photos quand le besoin s’en fait sentir. Vous reconnaissez l’auteur de cette photographie ?

Oui, c’est bien Henri Cartier Bresson. Et sa célèbre photo de 1932 « Derrière la gare Saint Lazare »
Il a lui même expliqué comment s’est déroulée la scène et pourquoi il l’a recadré :
« Il y avait une clôture en planches autour de réparations derrière la gare Saint-Lazare. Au moment où l’homme a sauté, j’ai jeté un coup d’œil par la fente du grillage avec mon appareil photo. L’espace entre les planches n’était pas tout à fait assez large pour mon objectif, c’est pourquoi la photo est coupée sur la gauche ».
Henri Cartier Bresson
Beaucoup de gens croient à tort que Cartier Bresson n’a jamais recadré une seule de ses photographies. Principalement parce qu’il a été associé au concept de l’instant décisif. Il renvoie à l’idée de la capture d’un sujet au moment idéal.
On le retrouve dans son ouvrage phare « Images à la sauvette » publié en 1952. Ce concept d’instant décisif, naît en réalité d’un choix de traduction. Pour l’édition américaine, ses éditeurs souhaitent un titre percutant et optent pour The Decisive Moment.
Sortie de son contexte, cette phrase prend un tout autre sens, mais elle scelle définitivement le concept d’instant décisif dans l’histoire de la photographie.

Mais vous voyez que même Cartier Bresson se trouve parfois dans le besoin d’opérer un léger recadrage. Même lorsque le moment idéal survient, le photographe n’est pas toujours dans de parfaites conditions pour le capturer. Cartier Bresson dans cette photo a dû photographier entre les planches pour obtenir sa photo.
Voici un autre photographe bien connu.

Cette célèbre photo d’Elliott Erwitt, recadrée également. Comme on peut le voir sur sa planche contact, le cadre a été resserré a posteriori.

Le petit rectangle rouge que vous voyez ce sont les instructions laissés au crayon par le photographe. Il n’a donc conservé que cette zone de son image.
La planche contact permet d’avoir un aperçu de la pellicule en obtenant une version positive de son négatif sur papier photosensible.
“Il y a deux compositions. Il y a la composition encadrée par le viseur et il y a la composition dans l’image. La deuxième peut être présente même si la première est mal organisée. Donc je ne suis pas contre le recadrage quand c’est vraiment nécessaire. Certains ont une attitude fétichiste sur ce sujet, mais il n’est pas immoral de recadrer. Bien sûr, c’est mieux si vous n’avez pas à le faire.”
Elliott Erwitt
Une mauvaise photo ne sera pas sauvée par le recadrage
Faites attention, le recadrage n’est pas une excuse pour devenir paresseux.
Le premier outil de recadrage et le plus important que vous ayez à disposition, ce sont vos jambes, si vous souhaitez être proche, rapprochez vous de votre sujet. Ne pensez jamais sur place « je recadrerai plus tard », vous devez tout faire pour obtenir la meilleure photo dans la mesure du possible sur place quand vous déclenchez.
Maintenant rentrons dans le cœur de cet article, nous allons explorer comment le recadrage, loin d’être une simple retouche, peut se transformer en un véritable acte créatif. À travers l’analyse de différents projets et artistes, nous verrons comment il permet de redéfinir une image, d’en révéler de nouvelles dimensions, et d’ouvrir des perspectives inédites sur la photographie.
Les possibilités créatives du recadrage
Quand le sujet apparaît au recadrage
Strangers in my photo album – Erik Kessels
Un beau jour l’artiste Erik Kessels, fouille dans ses albums photos et y fait une drôle de découverte. Il se rend compte en y regardant de plus près que sur certaines photos souvenirs en arrière plan se trouvent des inconnus.
Par inadvertance, en prenant des photos, il a capturé des passant en arrière plan. Ce qui est drôle c’est que ni les personnes photographiées, ni le photographe lui même n’ont conscience de leur présence sur ces photos.

C’est la découverte et l’attention portée à toutes ces silhouettes en arrière plan qui a motivé la création de ce projet que l’on peut traduire par « Des inconnus dans mon album photo »
Erik Kessels décide alors d’éliminer au recadrage ce qu’il souhaitait photographier à la prise de vue, pour ne conserver que ces personnes qui s’y sont retrouvées par le hasard du destin. Ce qui leur donne une importance qu’elles n’avaient pas auparavant.

Ce projet déplace donc l’attention du sujet principal de l’image vers les personnages qui l’entourent à l’arrière-plan, pris dans l’œil du public.
Bien qu’anonymes, ces personnes accompagnent et ont accompagné Erik Kessels dans son album photo. Peut être que vous aussi, quelque part dans votre album de famille se trouvent des inconnus qui se sont trouvés dans le cadre de votre image.
En tout cas, s’ils n’avaient pas été là, ce projet n’aurait pas pu exister et nous n’aurions pas aujourd’hui réfléchi à leur présence.
Des portraits involontairement photographiés
Sorting people – Richie Lem
Je vais maintenant rapidement vous présenter le projet « Sorting people » de Richie Lem.
Contrairement aux projets précédent, Richie lui exerce ce recadrage sur ses propres photos de rue.
En utilisant la reconnaissance faciale, il extrait des fragments de ses images focalisés sur les visages de ces inconnus croisés dans la rue.
Ce faisant le logiciel recadre et classe ces visages.

Ces portraits isolés, sortis de leur contexte, sont ensuite rassemblés dans un trombinoscope et accompagnés d’une description réduite à un critère subjectif. Tout n’est qu’apparence et interprétation.
Derrière ce procédé se cachent des questions plus profondes : quelle confiance accorder à ces systèmes d’analyse automatisée ?
Ici, même l’intelligence artificielle se trompe, confondant parfois humains et mannequins en plastique, rappelant à quel point nos perceptions – et celles des machines – sont faillibles.
Avec Sorting People, le recadrage devient un acte critique : il ne s’agit plus seulement d’améliorer une image, mais de révéler des histoires invisibles, et d’explorer les limites du droit à l’image.

Dans ces projets, les portraits mis en avant sont à l’origine involontairement photographiés.
Cette pratique de découvrir la présence d’inconnus dans ses propres photographies me fait penser à une pratique totalement à l’opposée de celle ci : Le photobombing ou photobombage en français
Se retrouver volontairement dans les images des autres
Le photobombing, c’est quoi ?
On peut définir cette pratique par le fait de gâcher une photographie en s’incrustant inopinément dans le champ de l’appareil photo à l’instant de la prise de vue.

Ce qui me fait penser à un projet de l’artiste Hans Eijkelboom.
In de Krant qui signifie « dans le journal » est un projet réalisé par Eijkelboom en 1976, consistant a suivre un photographe de presse pendant dix jours consécutifs et réussir à s’incruster dans l’arrière plan de chacune de ses photographies.


Ce qui transforme un simple journal en une véritable quête, à la manière d’un « Où est Charlie ? » pour retrouver l’artiste dans chacune des photos.

Prises individuellement, ces photos ne signifieraient probablement rien, mais ensemble, elles constituent une collection de photobombing plutôt espiègle. Eijkelboom est photographié à l’arrière-plan de diverses scènes : manifestation d’étudiants, accidents, etc.
Comme le dit Eric Kessels « c’est une performance qui a été enregistrée, quotidiennement et accidentellement, par quelqu’un qui ne savait pas ce qui se passait ».
Revenons à notre sujet principal.
Ces projets que je vous ai présenté précédemment ont réalisé en piochant dans les archives des photographes les ayant réalisé . J’aimerais maintenant vous présenter d’autres projets basés sur le recadrage, qui ont été réalisé cette fois ci à partir d’archives n’appartenant pas à l’origine aux artistes créateurs de ces projets.
S’approprier les photographies d’autrui en les recadrant
Une autre vision de la publicité
Richard Prince – Cowboy serie
Un cowboy solitaire sur son cheval traverse un paysage sauvage, regard perdu vers l’horizon. Cette photo, Richard Prince ne l’a pas prise en plein air mais dans son atelier, scotchée au mur.

Cette image est en réalité tirée d’un contexte plus large, à l’origine une publicité pour la marque de cigarettes Marlboro.
Prince se met à photographier directement ces images, en les recadrant pour en supprimer tout élément publicitaire : plus de logo, plus de texte, seulement l’image épurée du cowboy, figure mythique de la culture américaine.
Ce simple acte de délimitation visuelle change radicalement la lecture de l’image. Ce qui était conçu pour vendre un produit devient une réflexion sur l’identité, et la fabrication des icônes culturelles. Par le recadrage, Prince retire à l’image sa fonction initiale pour lui en attribuer une nouvelle, artistique et critique.
La série Cowboys est un exemple emblématique de l’utilisation du recadrage comme geste artistique à part entière. En rephotographiant les célèbres publicités Marlboro, l’artiste ne se contente pas de copier des images existantes : il les transforme en modifiant leur cadre, à la fois littéralement et conceptuellement.
Il invite à réfléchir sur la manière dont les images façonnent nos représentations collectives.

Ce geste questionne aussi la nature même de l’originalité : en changeant uniquement le cadre, peut-on créer une œuvre totalement nouvelle ?
Prince montre ainsi que le recadrage n’est pas un simple ajustement esthétique, mais un acte qui peut modifier le sens profond d’une image.
Cette série, en apparence simple, ouvre la voie à des questionnements profonds sur la culture visuelle et notre rapport à l’authenticité dans l’art.

La série Cowboys a suscité une vive polémique en raison des questions de droit d’auteur qu’elle soulève. Cette pratique de s’approprier des images publicitaires existantes, sans en modifier substantiellement le contenu a conduit certains à l’accuser de violation de copyright, estimant qu’il se contentait de reproduire le travail de photographes commerciaux sans leur consentement.
« L’une des raisons pour lesquelles j’ai pu me donner la permission était que personne ne regardait. Je n’avais même pas l’idée d’un public, je n’avais pas l’idée de montrer le travail, c’était essentiellement pour moi et mes amis. »
La controverse a surtout été alimentée par le succès critique et commercial de ses œuvres, qui se sont vendues à des prix très élevés sur le marché de l’art. Cette situation a relancé le débat sur la frontière entre appropriation artistique et plagiat. Prince défend son travail en invoquant la notion de fair use (usage équitable), en expliquant que son recadrage et le changement de contexte suffisent à transformer ces images en œuvres originales.
Camille Dellerie – POP
Dans son projet intitulé POP, le photographe Camille Dellerie revisite lui aussi des affiches publicitaires mais cette fois ci, ce sont celles des quais du métro parisien.

En s’attardant sur des gros plans, il met en lumière l’absurdité, les distorsions et les défauts de raccord de ces images omniprésentes. Bien que ces publicités soient à portée de regard des voyageurs, ces détails échappent souvent à l’attention, noyés dans le flot quotidien.
À travers une sélection de couleurs criardes et de détails troublants, le projet POP capte ces fragments pour révéler ce que notre regard, habitué, ne perçoit plus.

Ce travail questionne non seulement la place de la publicité dans nos vies, mais aussi notre capacité à voir au-delà de la surface, à décoder ce que nous consommons visuellement sans y prêter attention.

Ce projet n’est pas sans rappeler le travail de Richard Prince. Camille adopte une démarche similaire : en isolant certains détails des affiches du métro, il fait lui aussi disparaître le message publicitaire au profit d’une réflexion sur l’omniprésence de ces images dans notre quotidien.
Corinne Vionnet – Almost there
Chaque jour, de nombreux touristes, derrière l’écran de leur smartphone, prennent des millions de photos à travers le monde.
À côté des sujets ciblés (un monument, un bâtiment, une œuvre d’art, un point d’attraction quelconque), ces photos incluent souvent des aperçus d’autres touristes ou de passants, apparaissant parfois accidentellement sur les bords des images.

Les compositions peuvent être sommaires et les corps coupés, ne laissant apparaître que des jambes, un bras dans le prolongement de son smartphone, une nuque.

Dans « Almost There », Corinne Vionnet a choisi de se concentrer sur des photos en ligne prises à Bilbao, souvenirs du Guggenheim de Frank Gehry, du Puppy de Jeff Koons, de l’Araignée de Louise Bourgeois. Des parties anonymes de personnes ont été capturées, fragmentées par le cadrage. Ces personnes sont presque là, sans être identifiées ni désirées : elles entrent ou sortent du cadre.

Viktoria Binschtok – Suspicious Minds
Dans Suspicious Minds, Viktoria Binschtok utilise le recadrage pour détourner l’attention des figures politiques habituelles et la diriger vers des personnages secondaires, souvent ignorés, présents en arrière-plan des images de reportages. En composant des gros plans à partir de photos de presse, elle déplace le regard du sujet principal – les politiciens sous les projecteurs – vers ces hommes en costume, au visage impassible, qui restent dans l’ombre tout en étant capturés par l’objectif des caméras.

Ces figures, à la frontière entre anonymat et visibilité, incarnent un paradoxe : elles sont à la fois observateurs et observés. Chargés de veiller sur les personnalités publiques, ces individus deviennent eux-mêmes des objets de surveillance, révélant des expressions de pouvoir discret, de contrôle, mais aussi des regards suspicieux.


Le processus de Binschtok est essentiel à la force de ce projet : elle extrait ces visages des images originales de presse, agrandissant les photos jusqu’à atteindre une échelle humaine.
Ce grossissement accentue la pixellisation et la texture des images, soulignant le caractère médiatisé et filtré de ces moments. En reconfigurant ces portraits à travers une nouvelle composition photographique, elle met en avant des motifs visuels récurrents – des regards fixes, des postures rigides – qui interrogent les dynamiques de pouvoir et de surveillance omniprésentes dans les événements publics.
En déplaçant le focus, Binschtok transforme des détails de second plan en sujets principaux, questionnant la manière dont le pouvoir s’exerce silencieusement dans l’espace public. Le recadrage devient ainsi un outil critique, qui non seulement modifie la composition visuelle, mais réoriente aussi notre perception des rapports de force et de l’influence dans les médias.


Penelope Umbrico – Doors 2001
Dans son projet Doors (From Home-Improvement and Home-Decor Catalogs) (2001-2002), Penelope Umbrico explore les possibilités créatives du recadrage en s’appropriant des images issues de catalogues de décoration et d’aménagement intérieur. Ces catalogues présentent des pièces idéalisées – salons, salles à manger, chambres – où les portes sont presque toujours ouvertes, offrant des aperçus soigneusement composés de paysages extérieurs.

Umbrico scanne ces images et isole précisément les ouvertures des portes. Elle corrige ensuite la perspective pour que la vue extérieure soit alignée frontalement avec le regard du spectateur, donnant l’impression que ces portes s’ouvrent directement sur un paysage. C’est la seule manipulation qu’elle applique, mais elle transforme radicalement la perception des images. Chaque photographie conserve les dimensions réelles de la porte telle qu’elle apparaît dans le catalogue, renforçant l’illusion d’une porte réelle ouverte sur un ailleurs.
Les paysages visibles à travers ces portes sont souvent des vues idéalisées : jardins soignés, clôtures blanches, terrasses accueillantes. Ces scènes représentent un équilibre entre espace privé et espace public, délimité par des éléments comme des clôtures ou des patios. L’ouverture de la porte agit à la fois comme une invitation et une échappatoire, proposant au spectateur un refuge ou une possibilité de fuite vers un monde parfait, mais artificiel.

Doors démontre comment un simple changement de perspective peut modifier profondément la signification d’une image. En isolant les portes et en ajustant la perspective, Umbrico transforme des photos banales de catalogues en métaphores visuelles de l’évasion et de la frontière entre intérieur et extérieur. Le recadrage devient ici un moyen de recontextualiser des images commerciales pour interroger nos désirs d’intimité, de confort, et notre rapport à l’idéalisation des espaces domestiques.
Views from the internet – 2006
Ce premier projet sur les portes « Doors » en inspire un second : « Views from the internet ». Le principe reste le même mais au lieu de recadrer sur les ouvertures de porte cette fois ci, ce sont les vues à travers la fenêtre.

Recadrer, ce n’est donc pas simplement ajuster une composition ou corriger une erreur de cadrage. C’est également un acte créatif à part entière, une manière de redonner du sens à une image, d’en révéler des détails passés inaperçus, d’en modifier la lecture.
Comme nous l’avons vu à travers différents exemples, le recadrage peut être un outil puissant : il permet d’affiner une intention, de détourner une image pour lui donner une portée nouvelle. Des artistes l’utilisent pour renforcer une esthétique ou réinventer leur narration.
Alors, pourquoi s’en priver ?
Merci d’avoir lu jusqu’au bout ! Si cet article vous a inspiré, partagez-le avec quelqu’un qui pourrait être intéressé.
👉 Et vous, avez-vous déjà utilisé le recadrage de manière créative?