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Photographier en voyage : Comment bien se préparer✈️

Ce n’est peut être pas le moment le plus judicieux pour voyager, nous sommes en plein confinement ( le second ), et nous sommes tous plus ou moins immobilisés dans un rayon d’un kilomètre mais je me suis enfin décidé à terminer cet article bien complet sur la photographie en voyage en cours d’écriture depuis déjà un long moment.

Si j’écris cet article c’est aussi principalement parce que je reviens moi même de voyage, j’ai passé une semaine intense et extraordinaire en Suisse dont je ressors enrichi avec évidemment plein de photos. L’article se déroule en partie chronologiquement séparant, l’avant – le pendant- et l’après du voyage. Venant moi même de traverser ces trois étapes ( je me situe encore dans le processus du retour de voyage ) , je considère que c’est le moment opportun pour en discuter.

L’écriture de cet article va donc me permettre à la fois de m’aider à prendre du recul sur ma pratique photo en voyage et de vous aider vous à préparer vos futurs voyages de la meilleure manière possible.

J’espère que mon analyse et mes conseils vous seront utiles !

     

Sommaire

Avant propos :

On entend régulièrement le terme « photographie de voyage » , pour qualifier les images produites lors d’un voyage et à mon avis c’est un terme absurde. Le voyage peut évidemment devenir le sujet principal d’un projet photographique mais en aucun cas, à part si vous le mentionnez dans la légende, une photo ne vous révèlera qu’elle a été prise lorsque son auteur était en voyage. Aucune photographie n’est une image « de » voyage mais bien une image prise « en » voyage. C’est de la photographie en voyage et non de voyage dont nous parlons aujourd’hui.

Sans plus attendre commençons en nous posant la plus grande question de toutes, celle du pourquoi ?

     

Pourquoi voyager ?

     

Pourquoi voulons-nous toujours partir loin de chez nous ?

« Les voyages font paraître le monde nouveau, et quand le monde paraît nouveau, notre cerveau travaille plus dur » -Austin Kleon

Il existe de multiples raisons au désir de voyager. S’éloigner de chez soi pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles cultures. Que ce soit grâce à une réduction de dernière minute sur un billet d’avion, pour changer d’air sur un coup de tête ou qu’il soit préparé des mois à l’avance, le voyage nous fait oublier la réalité stressante, oppressante d’un quotidien répétitif. L’inconnu est effrayant mais il attire, nous sommes nombreux à attendre que le frisson du voyage resurgisse. Ce qui est certain, c’est que le voyage transforme l’esprit, il fait vibrer le coeur et redonne une couleur éclatante à tout ce qui se trouve sur notre chemin.

     

Les raisons du départ

« Le seul exploit du voyage, c’est d’avoir pris la décision de partir. » -Plossu

Dans cette partie nous essayerons de comprendre ce qui motive la décision du départ. Le voyage est-il toujours une excuse pour pratiquer la photographie ?

Le voyage comme prétexte à la photographie

La photographie est-elle présente en tant qu’accompagnatrice ou est-elle la raison même de votre départ ?

Dans certaines situations la recherche de l’image est prédominante sur l’expérience de l’instant présent. Certains photographes sont même incapables de réaliser une seule image quand ils sont chez eux. Ils ont besoin de s’éloigner. Le voyage devient alors une excuse pour sortir son appareil et pratiquer la photographie. Mais d’où peut bien provenir ce besoin d’éloignement ? La distance est-elle réellement nécessaire pour justifier l’utilisation de son appareil photo ?

Pourquoi les photographes ont-ils besoin de s’éloigner de chez eux pour photographier ?

Quand elle est pratiquée avec passion, et obsession la photographie devient le motif même du départ. Elle n’occupe plus une place secondaire mais principale. Il faut alors trouver un équilibre entre la vie et la photographie. Est-il préférable de vivre son voyage ou de le photographier ? Ce qui est certain, c’est que le seul moyen de vivre pour la photographie est de photographier sa vie. La photographie surgit de la vie personnelle du photographe et non du désir de photographier lui même. C’est pour cette raison que les photographes partent en voyage. Ils se créent des occasions de photographier . La photographie déclenche la vie puis le photographe déclenche à nouveau pour en collectionner les fragments.

« Je suis le résultat de tous les pays par lesquels je suis passé et de toutes les rencontres que j’ai pu faire. Je suis devenu nomade pour prendre des photos. »

Josef Koudelka

Se tenir derrière un appareil photo est inévitablement un acte de non intervention. C’est être présent sans l’être réellement. Participer à la scène d’une manière particulière en tant qu’observateur attentif d’une situation. Lorsque l’on prend des photos de son voyage, on alterne constamment entre cet état d’observateur et d’acteur. Vivre l’instant ou le photographier ? c’est l’éternelle question qui restera sans réponse puisqu’il est impossible de réaliser les deux en même temps. La seule chose que vous puissiez faire c’est d’alterner successivement entre ces deux états. C’est d’ailleurs le fait de rester trop longtemps dans cet état d’observation ou de contemplation qui a le don d’agacer vos proches non photographes qui vous accompagnent que ce soit dans un voyage ou dans la vie quotidienne. Par extension, la place majeure qu’occupe votre pratique de la photographie dans votre vie impacte aussi celle des autres. Ne sacrifiez pas votre vie de famille au profit de votre vie de photographe. Un jour ou l’autre vous ferez certainement face à l’objection classique : profite au lieu de photographier, lâche ton appareil ! Si l’effort doit être engagé de votre côté, faites comprendre à votre entourage qu’une grande partie du plaisir en lui même consiste pour vous à figer ces instants. Que votre manière de profiter c’est justement de photographier.

« Plus il se concentre sur les prises de vue comme moyen d’arrêter le temps qui passe, plus l’instant qu’il est entrain de vivre devient volatile, si bien qu’il sacrifie sa vie personnelle à la photographie »

Tomo Kosuga à propos de Masahisa Fukase

     

Le photographe n’a-t-il aucune raison réelle de voyager ?

« Le fou et le photographe sont assez proche. C’est quand même un peu la folie de faire sa valise, d’emporter des films vierges, un appareil, de prendre un avion, de côtoyer des hommes d’affaires ou des gens qui voyagent pour des raisons sentimentales. Les gens qui prennent l’avion ne sont pas comme toi, ils ont des raisons de voyager. Toi tu n’en as aucune vraiment. »

Raymond Depardon

Dans cette citation, je ne suis que partiellement en accord avec ce qu’énonce Raymond Depardon. Il met en avant le fait que la plupart des gens connaissent les raisons du voyage avant le départ. Les hommes d’affaires voyagent pour le travail, les couples pour la découverte, ou pour des raisons sentimentales. Mais qu’en est-il du photographe ? Est-il vraiment dépourvu de toute raison de voyager ? Je ne crois pas. À mon avis, le photographe se laisse simplement la liberté de découvrir la raison de son voyage une fois sur place et non avant le départ. Ou même parfois en rentrant chez lui. Nous ne pouvons comprendre les évènements qu’en regardant vers le passé. On ne peut prédire l’avenir, mais on peut trouver une explication au vécu. Alors oui, cela nécessite une dose raisonnable de folie pour prendre la décision de partir sans en connaître les raisons mais c’est grâce à cette folie que nous revenons avec des photographies impressionnantes et imprévisibles.

     

Partir en voyage : une renaissance visuelle

« La distance et la différence sont le tonique secret de la créativité. Quand on rentre chez soi, on est toujours chez soi. Mais quelque chose a changé dans notre esprit, et cela change tout. »

Jonah Lehrer

Ce que vous voyez ne dépend pas seulement de ce que vous regardez mais de l’endroit d’ou vous le regardez.

L’un des intérêts cachés du voyage est d’apprendre à retrouver son environnement, son lieu de vie et de le percevoir différemment. Nous ne partons pas dans le but de rentrer mais c’est l’un des effets secondaires les plus importants du voyage. Il permet de « recharger les batteries » de revenir dans une nouvelle dynamique, de tourner la page et percevoir sa vie et son environnement avec des yeux neufs. À force d’être immergés quotidiennement aux mêmes endroits la lassitude finit par s’installer, nous ne sommes plus capables de percevoir la beauté de la banalité. Nous finissons par ne plus voir ce qui se passe juste sous nos yeux. J’en fais moi même l’expérience régulièrement, ayant la chance d’habiter à quelques centaines de mètres de l’océan, à force de passer devant je finis par ne plus réellement le regarder. Pourtant lorsque je prends la voiture pour descendre à quelques centaines de kilomètres seulement , face au même océan atlantique c’est comme si je voyais de nouveau. Peu importe votre destination, vous éloigner physiquement de chez vous peut vous permettre de prendre un recul psychologique sur vos problèmes et faire apparaître des solutions que vous n’envisagiez pas au coeur de la situation. Essayez dès maintenant, mettez quelques kilomètres entre vous et votre environnement habituel. Il n’y a pas toujours besoin de partir à l’autre bout du monde.

Maintenant que nous avons esquissé quelques éléments de réponses en ce qui concerne les motivations d’un départ en voyage pour le photographe, il est temps de nous attaquer à la plus vaste des questions. Pourquoi prenons nous des photographies en voyage ? Ne pouvons nous pas nous contenter de vivre l’expérience ? Qu’est ce qui nous motive à figer cette expérience ?

     

Pourquoi ressentons nous le besoin de prendre des photos en voyage ?

Aujourd’hui l’acte photographique est associé à celui de voyager. Comme le dit Susan Sontag dans son essai ‘Sur la photographie’ : « Voyager pour son plaisir sans emporter d’appareil photo semble positivement anormal. »

Tout le monde possède la capacité à photographier, que ce soit grâce à un réflex, un compact ou à un simple smartphone. Nous avons en poche le moyen de figer les instants mémorables du voyage. Avant de refermer son sac ou de boucler définitivement sa valise le futur voyageur procède aux dernières vérifications. Il se demande s’il n’a pas oublié un élément essentiel. Chacun sa petite liste, et son kit indispensable à garder sur soi quoi qu’il arrive. Pour ma part, je considère l’appareil photo comme aussi important si ce n’est plus que mon passeport ou ma carte d’identité. Oublier son appareil ou sa batterie est l’un des péchés capitaux du photographe. Il ne suffit généralement que d’une fois pour retenir la leçon.

Alors quelles sont les différentes raisons qui nous poussent à figer nos voyages en images ?

     

La certification du vécu

« Les photographies apporteront la preuve irréfutable de la réalité du voyage, de l’accomplissement du programme, et du plaisir qu’on en a tiré. Elles sont les pièces qui justifient des séquences de consommation effectuées loin des yeux des parents, des voisins, des amis. »

Susan Sontag

Il n’est pas rare que l’on vous demande comment se sont passées vos vacances. C’est votre tour de parler et tout le monde attend que vous racontiez vos anecdotes de voyage, les yeux sont rivés sur vous : ou es-tu allé ? qu’as tu fais ? Submergé par les émotions, toutes les questions et le difficile retour à la réalité, vous cherchez les mots adéquat. Mais ils ont du mal à sortir, tout se mélange, par ou commencer ? Les récits de voyage ont toujours cet aspect de pâle copie du vécu. Mais il est évident qu’ils aient envie de savoir, alors vous sortez votre téléphone, appareil photo ou des petits tirages et vous commencez à commenter les images.

La pression sociale vous pousse inconsciemment à ramener un fragment de l’instant vécu, une image à partager. En voyage, vous ne photographiez pas seulement pour vous, mais aussi pour eux. Pour leur montrer, pour vous asseoir au coin du feu et leur raconter votre voyage une fois de retour.

Les photographies prises en voyage justifient vos déplacements. Elles agissent comme un document d’identité prouvant l’existence du voyage en quelques traits reconnaissables. Une image de la Tour Eiffel sera l’attestation d’un passage à Paris. Celle d’une péniche de votre séjour à Venise. L’image comporte toujours en elle une part de représentation mais ne délivre jamais la vérité complète. Observée seule, sans contexte elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. C’est comme expérimenter le monde à travers les ombres dansantes des parois de la caverne de Platon. C’est là qu’intervient le rôle du voyageur, il répond aux questions que l’image pose, et l’image appuie la véracité des propos de part son existence. Elle constitue pour ceux à qui vous racontez vos aventures des preuves de votre sincérité. Les photographies de voyage affirment le « ça a été ». Néanmoins il faut se méfier de cette tendance à accorder une confiance aveugle aux images.

La photographie n’est pas seulement une reproduction de la réalité mais son interprétation, à la fois d’un point de vue technique par l’appareil, et d’un point de vue artistique par le photographe. Elle raconte et interprète, possède toujours un pied dans la réalité mais ne la reflète pas totalement. La photographie ment, et même si c’est un doux mensonge rempli de bonnes intentions, cela reste un mensonge.
Contrairement à notre croyance, la réalité est flexible et manipulable. Nous avons confiance en sa capacité reproduction car la photographie est l’art le plus proche du réel. (on ne peut produire une photographie sans capturer un fragment de réel).
Entre le portrait dessiné et le portrait photographique, nous avons tendance à croire la véracité de représentation de l’image et non celle du dessin. Or la photographie possède elle aussi la capacité de déformation et d’interprétation de l’oeuvre dessinée. Ne l’oubliez pas. N’essayez pas toujours de croire ce que vous voyez, de rechercher la part de réalité et de fiction mais plutôt de ressentir la photographie. Ne la réduisez pas à son aspect de pièce d’identité.

     

Fixer et conserver durablement ses souvenirs

« Ce n’est pas seulement le souvenir visuel d’un évènement que la photographie nous permet de retrouver, ce sont aussi ses diverses composantes sensorielles. »

Serge Tisseron

La première fonction de la photographie, nous la connaissons tous, c’est celle de fixer l’image du présent et d’en conserver son souvenir. Nous photographions pour voir s’apaiser nos craintes que le présent nous échappe, la peur d’oublier le passé, et le désir de se remémorer dans le futur. En voyage capturer des images est une manière de résister à l’oubli. La mémoire est fragmentaire, les images agissent comme un stockage externe de ces fragments. Représentez vous chacune de vos images comme un pilier de cette mémoire. Avec le temps tous ces piliers vous aideront à reconstituer les expériences vécues. Photographier c’est non seulement transformer une partie de la réalité en image mais également capter une partie de son expérience sensible. Dans l’effervescence du voyage, nous n’avons pas toujours le temps de nous imprégner de ces composantes sensorielles. C’est l’un des bénéfices de la photographie. Être spectateur de l’image, c’est se replonger dans son contexte, tout un tas de souvenirs émergent de celle ci. La photographie déclenche le processus de la mémoire et ranime le souvenir. Voici pourquoi je pense qu’il est important au delà du désir de réaliser un projet artistique, de photographier en toute simplicité ce que l’on veut garder en mémoire. Faire de la photo souvenir n’est pas une mauvaise chose en soi. À l’instant même ou la photographie est entrée entre les mains du grand public, elle a été utilisé pour cette capacité à fixer le souvenir.

« La manière dont nous remplissons les blancs de la mémoire signe notre vérité ; en partie, la réalité devient celle que nous désirons et, par là même, nous peint mieux qu’une relation absolu­ment exacte — d’ailleurs impossible. »

André Hardellet

Photographier son voyage est une manière d’éditer sa mémoire pour n’en conserver que les fragments qui nous conviennent. Rares sont ceux qui veulent en conserver un mauvais souvenir, ne garder en mémoire les moments malheureux de leur expérience. Gardez cela en tête, lorsque vos amis vous montreront les images de leur dernier voyage ou que vous passerez un peu trop de temps sur les réseaux sociaux : ces photographies confirment et entretiennent la vision qu’ils veulent partager au monde extérieur d’un voyage heureux et sans problèmes. L’erreur commune que l’on fait tous c’est de ne pas se rendre compte que l’on se compare sur des critères extérieurs. La vie des autres semblent toujours plus belle et palpitante que la nôtre quand on ne peut pas accéder aux coulisses de leur existence. Tout le monde est coupable de participer à cette distorsion invisible. Les images de mon voyage en Suisse ne révèlent pas la fatigue, les crampes, ou encore le fait que je me sois trompé dans la date du retour.

La pratique de la photographie aide le voyageur à fixer le souvenir et élire les moments qui méritent d’être conservés dans sa mémoire. Ce qu’il décide de photographier, c’est ce qui contribue à la vision qu’il voudra garder de l’évènement.

Nous avons tous déjà été « victimes » de ce passage obligatoire dans une boutique de souvenirs à la fin du voyage. Que ce soit pour des amis, de la famille ou soi même nous avons succombé à l’achat d’une babiole surmonté du drapeau du pays dans lequel nous sommes allés, du monument le plus proche, ou encore d’un magnet à coller sur notre frigo. L’utilité du souvenir aussi futile soit-il et généralement rangé dans un coin donne l’impression au voyageur d’avoir ramené avec lui un morceau de son expérience jusque chez lui. La photographie par un effet similaire permet aujourd’hui à n’importe qui de se créer ses propres morceaux d’expériences, ses souvenirs de voyage.

     

Jusqu’ici, nous avons vu ensemble que la photographie certifie l’expérience vécue en voyage, fixe et conserve le souvenir du voyageur, mais il nous reste encore un point à éclaircir : la photographie favorise notre compréhension du voyage.

    

Favoriser notre compréhension du monde et des évènements

« J’ai une vision plutôt embrouillée du monde et de la manière dont il fonctionne. Mais dès que j’ai en main un appareil, cette confusion disparaît. Dès que je regarde à travers un viseur, tout m’apparaît aussi clair et transparent que le cristal. »

Don Mac Cullin

L’acte photographique en voyage s’apparente généralement à l’affirmation suivante : je suis là. En prenant une photo, nous affirmons notre présence au monde en ce lieu et en cet instant précis. Ici, il ne faut pas chercher à comprendre la photographie du point de vue de ses images, du résultat final mais bien de l’utilité de la prise de vue, du geste qui consiste à tenir son appareil, cadrer et appuyer sur le déclencheur pour enregistrer l’instant vécu. Comme l’énonce clairement Serge Tisseron dans son ouvrage « Le mystère de la chambre claire » : « La prise de vue contribue à elle seule à donner à l’évènement un caractère d’exception et à celui qui a photographié une place privilégiée au sein de l’évènement. » En prenant une photo on décide de conférer de l’importance à l’instant vécu et lui pourvoir une espérance de vie allongée. C’est la preuve de notre présence au monde. Face à l’inconnu le geste d’interposer son appareil entre soi et la scène qui se présente est une manière d’intérioriser le spectacle, la nature nouvelle des évènements. Photographier est une réponse au bouleversement émotionnel provoqué par le voyage.

« L’activité même de photographier a un effet calmant et atténue le sentiment de désorientation générale que le voyage a toute chance d’exacerber. La plupart des touristes se sentent obligés d’interposer l’appareil photo entre eux et tout ce qu’ils peuvent rencontrer de remarquable. N’étant pas sûr de savoir comment réagir, ils prennent une photo. Cela donne forme au vécu : on s’arrête, on prend une photo et on repart. »

Susan Sontag

    

Avant le voyage :

Éviter de développer des idées préconçues de son voyage

Le danger de la consultation des réseaux sociaux

Lorsque l’on décide de voyager dans un nouveau pays, nous sommes tous avides de renseignements. Comment cela va se passer ? À quoi cela va ressembler ? Nous sommes pressés, l’attente se fait ressentir et devient généralement de plus en plus forte alors nous finissons par nous accorder quelques recherches sur internet, quelques clics pour nous donner un aperçu des endroits à visiter et à photographier. Laissez moi vous affirmer quelque chose : La réalité n’a généralement rien à voir avec le monde de l’image, la photographie dans sa conception est limitée à représenter le monde en deux dimensions. Nous vivons dans un monde plus complexe, il se passe beaucoup de choses que vous ne pouvez prévoir au delà des bords de l’image que l’on décide de vous montrer sur les réseaux sociaux. Des odeurs, des sons qui eux aussi sont présents pour participer à l’ambiance. Chaque photographe possède son propre style et se représente le monde différemment. Les bénéfices que vous retirez à aller jeter un coup d’oeil au lieu que vous souhaitez visiter sont moindres et se résument souvent à de l’eau bleu turquoise, et des couchers de soleil pour schématiser grossièrement.
Quand je consulte les photos postées près de chez moi sur internet, il y a tellement coucher de soleil que je pourrai finir par croire que tout le monde ne vit qu’une heure ou deux par jour.

Le monde d’aujourd’hui est incroyablement séduisant, nous avons la possibilité de consulter des avis avant de nous rendre dans un hôtel, dans un restaurant, de prévisualiser le paysage, mais toute cette magie est à double tranchant, car nous perdons en spontanéité et il se fait de plus en plus rare de voyager totalement dans l’inconnu.

Pour éviter cet écueil, faites le moins de recherches possibles avant d’effectuer votre voyage. Contentez vous du strict nécessaire et laissez vous surprendre une fois sur place.

    

Faut-il partir vierge de toute influence pour autant ?

C’est une illusion de penser que nous partons blanc comme neige, chacun d’entre nous possède ses propres références culturelles, artistiques. En partant en voyage, j’amène avec moi tous les clichés que je possède en tête, toutes les oeuvres que j’ai consulté par le passé. Ce n’est pas le lieu dans lequel vous vous rendez qui est original, c’est votre façon de le percevoir. Ce que vous voyez, vous le voyez à travers le prisme de votre éducation, de vos expériences, de votre culture, de vos relations. Chaque recoin de ce monde a probablement déjà été photographié. Mais pas par vous et votre sensibilité qui vous est propre.
J’ai pour coutume de dire que l’originalité est le produit de l’ignorance Avoir l’audace de penser créer une oeuvre complètement originale, c’est tout simplement ignorer où se trouvent les références et les sources. Nous créons tous par dessus les productions de nos prédécesseurs, que nous en ayons conscience ou non.

Comme l’a si bien dit André Gide : « Tout ce qui doit être dit a déjà été dit. Mais comme personne n’a écouté, tout doit être dit à nouveau. » , non sans copier mot pour mot mais en m’inspirant grandement de ses propos j’oserai appliquer cette idée à la photographie. « Tout ce qui doit être photographié a déjà été photographié. Mais comme personne n’a vraiment regardé, tout doit être photographié de nouveau. »

Ne pas trop écouter les récits de voyage

«  un événement qui nous est raconté à travers le prisme du désir d’un autre peut produire chez nous des représentations qu’il nous sera ensuite difficile de distinguer de celles que nous nous serons formées dans une situation semblable. Et cette source de confusion sera encore plus grande lorsque l’événement ne nous aura pas été seulement raconté, mais mis en scène sous nos yeux à travers des images. Autrement dit, nos souvenirs se nourrissent à trois sources : nos expériences réelles, nos fantasmes de désir et les représentations de nos proches.  »

Serge Tisseron

Aucun d’entre nous ne possède la même perception du monde, le même livre comportant les mêmes mots alignés dans le même ordre donne lieu à une multitude d’interprétations différentes et c’est exactement pareil en ce qui concerne le voyage. Deux personnes peuvent se rendre dans le même pays, la même ville, goûter les mêmes plats, assister aux mêmes évènements et rentrer chez elles avec deux récits complètement différents. Pourquoi ? Parce que nous ne vivons pas tous la même expérience de la même manière. Nous ne nous attardons pas sur les mêmes détails. Et par dessus tout, nous n’avons pas tous les mêmes attentes et exigences.

Alors lorsque vous connaissez quelqu’un qui s’est déjà rendu à l’endroit que vous planifiez de découvrir, ne laissez pas sa mauvaise expérience prendre le dessus et saboter votre projet de voyage. Je ne suis pas entrain de vous conseiller d’enfiler des bouchons d’oreilles mais de simplement ne pas vous laisser influencer à outre mesure. Chaque voyage est unique et le reflet de votre expérience à VOUS ! Il n’existe jamais deux fois le même voyage.

Le danger est d’avoir tellement consulté les réseaux sociaux et les photos d’autrui que l’on se crée soi même une image mentale, une préconception de son futur voyage si forte que nous finissons par répéter les mêmes images dénuées de sens. Prenez garde à cette image mentale construite uniquement par les récits et images de vos proches et souvenez vous en quand vous aussi raconterez votre voyage.

Le danger en image :

Le compte Instagram @streetrepeat met en avant les similitudes entre les images prises par différents photographes. Les réseaux uniformisent notre manière de penser et photographier
À votre avis ou se trouve l’image prise par le célèbre photographe William Eggleston ?

Oubliez la check-list ! Vous n’êtes pas arrivés jusqu’ici pour cocher une liste de photos « iconiques » à capturer mais au contraire de prendre des photos personnelles, qui ont du sens et rayonnantes d’émotions.

« Soyez vous même. Je préfère de loin voir quelque chose, même maladroit mais qui ne ressemble pas au travail de quelqu’un d’autre. »

William Klein

    

Voyager et photographier pour soi et non pas pour les autres :

Pour la plupart des photographes, le voyage est une simple liste à cocher. Et comprenez bien que je ne vous interdis en aucun cas de cocher cette liste, moi même je me retrouve parfois à le faire. En prenant par exemple un ou deux magnifiques selfies devant le grand jet d’eau à Genève. Mais ce que je veux c’est vous orienter vers une photographie qui s’exprime, qui sort de vos tripes et qui raconte quelque chose à la fois sur votre histoire et sur celle des autres. Pour réaliser cet objectif ambitieux il faut parfois déconstruire certains mécanismes ancrés, enracinés très profondément dans le cerveau de chacun. C’est le moment de le faire ici et je ne vais pas mâcher mes mots.

Beaucoup de voyageurs ne voyagent pas pour le voyage, ils voyagent pour impressionner leurs amis, pour poster sur les réseaux sociaux, pour paraître… De la même manière beaucoup de photographes voyagent pour Instagram, pour les likes. Il voyagent pour la soirée en rentrant de vacances, pour répondre à la fameuse question : « Alors ton voyage? » en sortant fièrement leurs clichés approximatifs des monuments du coin. Pour rendre les autres jaloux. Pour faire des selfies devant les lieux emblématiques et recevoir l’approbation d’un proche et lui prouver qu’ils ont une meilleure vie que lui…

La vérité c’est que personne ne s’intéresse à vos voyages, à vos photos autant que vous même. Quand vous faites quelque chose pour les autres que ce soit simplement une image, un voyage, un achat, un job quoi que ce soit, vous prenez le risque de décevoir la personne la plus importante dans votre vie : vous. Et ça ne vaut pas le coup. Ne faites pas de votre voyage une stratégie pour accumuler le plus de photographies possible dans le but de rendre jaloux votre entourage.

    

Privilégier le voyage solo ou le voyage en groupe ? 👥

Multiplier les compagnons de voyage c’est multiplier les expériences, multiplier les plaisirs mais aussi multiplier les personnalités, les décisions et les désaccords. Tout le monde ne veut pas visiter les mêmes lieux et s’attarder aux mêmes endroits. Il faut faire des concessions sur l’itinéraire, sur le confort, sur la durée du voyage. Plus il y a de personnes à bord, plus cela devient un challenge de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde.

Ne considérez pas votre famille, vos amis ou votre partenaire de voyage comme des poids qui vous empêchent de vous exprimer en photographie !

Si vous avez décidé de partir avec eux c’est parce que vous vouliez justement partager ce voyage à plusieurs. Ne les accusez pas de vos tentatives échouées de photographier tel ou tel sujet ou de leur impatience de vous attendre 30 minutes de plus dans le même coin de rue parce qu’il vous faut le bon angle ! Si vous êtes partis avec eux c’est parce que vous vouliez rire et pleurer ensemble, affronter les galères et apprécier l’aventure. Tout ne tourne pas autour de la photographie. Elle découle de la vie elle même, alors ne rabaissez pas la vie au profit de la photographie et inversement. Trouvez un équilibre entre les deux. Sachez laisser de côté votre appareil quand le moment présent l’exige et profitez !

Le fait d’avoir une personne de confiance avec vous peut vous sortir des situations que vous n’auriez pas eu le courage ou imaginé affronter tout seul. Comme par exemple vous empêcher de tomber en hypothermie ou vous protéger contre l’attaque d’une bête sauvage en pleine nuit. 🐻

Voyager accompagné.e est un choix que vous faites en amont de votre voyage auquel vous ne devez plus réfléchir une fois en chemin. Il y aura sans doute des moments de frustrations intenses de ne pas pouvoir rester un peu plus longtemps au même endroit, de devoir suivre les autres et vous devez vous y préparer.

Est ce qu’il est impossible de prendre des photos intéressantes lorsque l’on voyage à plusieurs ?

Au contraire, je suis d’avis que votre regard et vos projets photo doivent toujours s’adapter à la situation dans laquelle vous vous trouvez. Lorsque vous voyagez seul vous n’allez pas photographier les mêmes sujets, avancer au même rythme, rester dans les mêmes lieux. Posez vous toujours la question suivante : Qu’est ce qui est particulier/unique à cette situation que je ne pourrai pas retrouver ailleurs ?

Le voyage en groupe est par exemple un excellent moyen de photographier vos proches dans un tout autre contexte. La plupart des images que je possède des membres de ma famille ont été prise dans le contexte de la maison, du quotidien, toujours aux mêmes endroits. Voyager c’est l’occasion de capturer des situations complètement inhabituelles. Les meilleurs sujets sont souvent ceux qui sont les plus proches de vous que ce soit en terme de distance physique ou émotionnelle.

Alors évidemment, si vous voulez creuser un projet photo en particulier, et réaliser des images qui nécessitent une concentration plus intense, le voyage en groupe n’est pas forcément le plus adapté. Si vous voulez vous immerger à 100% dans votre pratique de la photographie rien n’équivaut le voyage en solitaire.

La plupart du temps le photographe se considère comme un loup solitaire, qui n’a besoin de rien ni personne à part de son appareil. La photographie en elle même est une activité solitaire. Nous sommes toujours seul lorsque nous prenons la décision de photographier. Tout dépend de votre personnalité, du sujet vers lequel vous choisissez de vous tourner.

Organisez votre voyage en fonction de son objectif. Si vous décidez de consacrer un voyage exclusivement à la photographie, adaptez votre itinéraire, votre manière de voyager.
En revanche si vous décidez de partir pour un voyage plus classique accompagné, et de relayer votre pratique au second plan, ne soyez pas trop exigeant et contentez vous de cueillir les opportunités présentes sur votre chemin sans trop vous mettre la pression.

    

Sur place

La première impression visuelle

Si vous avez respecté le principe évoqué précédemment sur l’importance de ne pas se faire influencer par des idées préconçues, vous devriez être aux anges. Vous débarquez dans une autre réalité qui brise la routine visuelle de votre quotidien. Tout est nouveau et donne envie d’être photographié. J’adore cette excitation de l’inconnu, ne pas savoir ce que je vais voir, qui je vais rencontrer. Le photographe Raymond Depardon appelle cela l’énergie du premier regard.

« J’ai souvent revendiqué d’ailleurs ce que l’on appelle le « premier regard » qui a sa force, sa puissance qui est inimitable. On ne connaît pas bien le pays, on a l’énergie du premier regard, des premières heures, de la surprise, de la découverte.. »

Raymond Depardon

Le processus est toujours le même, lorsque l’on découvre un nouveau lieu. Il y a plusieurs étapes. Premièrement, tout paraît intéressant, le moindre coin de rue, fragment d’architecture, morceau de pelouse… quand vous traversez cette phase, rien ni personne peut vous arrêter. Vous photographiez comme un loup garou un soir de pleine lune motivé par l’angoisse de manquer une d’importante . Évidemment les images qui en découlent seront probablement inexploitables, sans intérêt particulier mais ça vous ne vous en rendrez compte que lorsque vous redescendrez les pieds sur terre. Je ne suis pas là pour vous encourager à réprimer vos pulsions de photographe qui reçoit enfin sa dose de nouveauté visuelle, au contraire lâchez vous, c’est le moment vous l’avez bien mérité. Ce que je veux mettre en lumière c’est qu’il faut prendre conscience de ce phénomène après avoir mitraillé sans relâche les premières heures tout ce que vous avez rencontré autour de vous. Ce phénomène est commun à tous les photographes et c’est bien évidemment ce qui m’est arrivé lors de mon voyage en Suisse. Quand je passe en revue mes images de manière chronologique, je peux voir une nette évolution dans les sujets et la manière de photographier. À la fin du voyage des choix conscients ou inconscients on été établi et le résultat s’en fait sentir.

    

S’évader du cliché carte postale 🖼

Ensuite vient la phase de raison. Après un vif coup d’oeil sur votre production, vous vous rendez compte qu’il manque une âme à vos images. Elles sont généralement superficielles, caressent la surface du sujet sans jamais créer l’émotion. Un conseil, si vous vous retrouvez nez à nez avec d’autres photographes pointant leur appareil dans la même direction que le votre, c’est mauvais signe. C’est en général parce que vous êtes dans la reproduction, la description d’un lieu plutôt que dans votre propre interprétation. J’appelle cela un « cliché carte postale ».
Rien ne vous empêche d’en prendre mais après tout c’est pour ça qu’elles existent. Si vous avez besoin d’une carte postale pourquoi ne pas en acheter une plutôt qu’essayer de la reproduire vous même.
C’est le moment de se diriger vers la recherche, prendre du recul et trouver un moyen d’apporter votre propre sensibilité. Mais comment faire ? Posez vous la question suivante : Comment je ressens ce lieu, cette ambiance ?
Le voyageur ne vit pas dans la même réalité que les locaux. Il est dans un monde parallèle qui ne lui appartient pas, qu’il ne fait que traverser. Cet état de vagabondage, est un atout comme un inconvénient. Si vous souhaitez vous mettre à la place d’un habitant, vous rapprocher de la vision de quelqu’un qui connaît les lieux, il va falloir développer votre connaissance visuelle. Rester plus longtemps dans la même ville et le même quartier. Prendre le temps de créer un lien d’intimité. En revanche vous pouvez aussi utiliser votre vision fraiche et naïve de voyageur pour aboutir à un résultat unique et original.
Choisissez le sujet de vos photos avec le coeur et déterminez la direction à prendre, le traitement de vos images avec la raison.

Ce cycle peut être plus ou moins long et s’étaler de quelques jours à quelques mois. Tout dépend de la durée de votre voyage. Si c’est un long voyage la phase de prise de vue intense peut durer plus longtemps. Si par contre vous n’avez qu’une semaine pour extraire un projet de vos images, il est important de prendre du recul assez rapidement sur ce que vous souhaitez retirer du temps imparti.

    

Adapter sa pratique en fonction de la durée du voyage 📆

Voyage à durée déterminée / indéterminée :

La durée du voyage ne détermine pas la qualité de vos images, mais influence la façon dont vous prenez des photos. Avant le départ vous devez mettre au clair l’horizon de temps que vous vous accordez.
Êtes vous embarqué pour un voyage à durée indéterminée ( vdi) ou dans un voyage à durée déterminée ( vdd ) ?

Si le voyage est une occasion pour vous de commencer un tout nouveau projet photographique sachez qu’il sera limité par la durée de celui ci. Pour faire simple, la date de retour détermine la date de fin du projet. Le moment ou vous prenez la décision de rentrer chez vous sonne l’alerte de fin de la prise de vue et le début officiel du processus d’editing (tri des images récoltées). Une fois le voyage terminé, on ne peut plus le photographier. Dans le cas ou vous partez avec des attentes, une ferme intention de créer un nouveau projet et l’espoir de produire du bon travail, la durée du voyage possède une importance capitale. Lorsqu’on limite son projet à la durée d’un voyage on prend le risque de ne pas revenir avec assez de matière. Auquel cas il faudra envisager un second, troisième voyage pour compléter et étoffer le projet photographique. Et par conséquent déterminer soi même la fin du projet.

Voyage de courte durée : la pression du résultat

Vous n’avez pas nécessairement besoin d’un voyage plus long pour avoir un meilleur voyage. Le voyage de courte durée ( vdd) est synonyme d’intensité et cette contrainte de temps peut servir votre créativité. Le fait d’être soumis à un temps imparti vous permettra justement de photographier avec énergie tout au long du séjour. La contrainte crée l’innovation et soumet le photographe à une pression supplémentaire. . C’est ce que j’évoque dans cet ancien article sur l’importance de la deadline (date limite) pour atteindre ses objectifs :

Tout dépend de votre personnalité, êtes vous du genre à étaler les tâches sur le long terme et maîtriser l’organisation ou à être productif et efficace à l’approche de la date butoir. À vous de voir si vous préférez un long voyage, ou un/plusieurs voyage.s courts et intenses dédiés à la photographie.

    

L’intensité du voyage se retrouve dans la manière de photographier

Photographier au rythme de son voyage ou au rythme d’un lieu ?

Les différents types de voyage

Selon votre manière de voyager, vous ne prendrez pas les mêmes photos et ne pourrez pas nouer la même relation avec votre ou vos sujets. La rapidité tout comme la lenteur changent notre perception de l’environnement qui nous entoure. Vous ne voyez pas le monde physique comme vos ancêtres. Les codes de vision ont complètement changé. Nous vivons dans la civilisation de l’accélération constante. Tout semble nous pousser à aller toujours plus vite, c’est pourquoi il faut avoir une démarche consciente de ralentissement et d’approfondissement des lieux que nous visitons. Certains types de voyages invitent à ce ralentissement.

    

Accélérer, traverser, survoler et vagabonder sans jamais s’arrêter ✈️

La culture du fast travel / voyage rapide

Qu’est ce que le voyage rapide ?

À l’image de notre époque et de sa culture du fast food visant à  faire gagner du temps au client  j’évoque ici un point tout aussi important et moins évoqué qui est celui du « fast travel » autrement dit voyage rapide.

Nous ne sommes toujours pas capables de nous téléporter instantanément à l’autre bout du monde mais le voyage aérien nous permet déjà aujourd’hui pour de moins en moins cher de relier presque n’importe quel endroit en seulement quelques heures. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous pouvons passer d’un climat à un autre en une seule journée. Ce n’est pas un mode de voyage disponible à tous, qui nécessite des moyens financiers et impacte l’ecosystème mais c’est une possibilité qui s’offre à certains et qui a profondément impacté le domaine de la photographie.

Comme toujours il y a des aspects positifs et négatifs à cette ouverture sur le monde. Chacun possède sa culture, son langage, ses territoires son patrimoine culturel. Ce qui permet de croiser les regards et les perceptions entre des photographes de différents pays.

L’un des exemples les plus pertinents pour illustrer cette culture du voyage rapide et qui me permet par la même occasion de vous faire découvrir un photographe intéressant c’est le projet : « Le tour du monde en 14 jours » de Raymond Depardon

En Juin 2008, Depardon a effectué un tour du monde en solitaire, en seulement 14 jours il expérimente le voyage moderne en laissant son itinéraire être déterminé par les escales des compagnies aériennes, pour aller toujours plus vite, « juste pour voir si la terre est bien ronde… » Billets électroniques, cartes de crédit, décalages horaires et téléphone portable. Voici le résumé de ce voyage fou à l’image de notre monde moderne.

    

Ralentir, approfondir, creuser et investir du temps au même endroit ⏳

« Je n’aime pas me disperser courir et rater toujours quelque chose. Je suis resté au même endroit sans bouger, comme un habitué, un voisin, les gens ne faisaient pas attention à moi. Ils n’avaient pas de raison, tout le monde photographie et filme. J’étais un touriste de plus et j’en étais ravi. »

Raymond Depardon

Éloge de la lenteur

Contrairement au voyage rapide, le voyage lent permet au photographe de prendre le temps de créer un lien d’intimité avec le lieu qu’il découvre. Accélérer est un moyen de se procurer des sensations fortes et intenses mais possède ses propres limites. Lorsque l’on se déplace en voiture, le paysage défile sous nos yeux à une telle vitesse qu’il nous est impossible d’en fixer une image précise. La contemplation nécessite un temps plus long, l’observation requiert de l’attention. Pour scruter chaque détail et apprécier la magie du banal il faut apprendre à ralentir, et à s’arrêter parfois. Au lieu de vous épuiser à traquer les moments à photographier comme un chasseur, essayez plutôt de les cueillir sur place.

Il est temps de changer de rythme et d’adopter la plus vieille pratique de l’être humain : la marche.

Marcher et observer : le coeur de l’errance photographique 🚶‍♂️

Depuis que la photographie s’est rendue disponible au grand public et s’est allégée de son propre poids, nombreux sont les photographes qui ont parcouru des kilomètres à pied. Dans son livre « Influences, un jeu photographique », Jean-Christophe Béchet énonce à propos de Bernard Plossu qu’il lui a appris que « la photographie se pratique avec une bonne paire de chaussures. » Photographier nécessite une forte implication personnelle et surtout de gratter ses chaussures contre le bitume, dans l’herbe fraîche de la rosée du matin, dans le sable mouillé à marée basse. La plupart de mes photos sont réalisées avec une paire de chaussures et un appareil photo. Alors choisissez la bien, n’ayez pas peur de vous salir un peu pour découvrir ce que le monde a à vous offrir.
Parfois on marche des heures durant sans revenir avec une seule image correcte. Mais sachez que quel que soit le résultat photographique, une balade à pied aura toujours un effet positif dans vos vies.

Contrairement, au bus, au tramway, au métro, à l’avion, à la voiture, le moyen le moins cher et le plus utile de se déplacer lorsque l’on veut prendre le temps de découvrir son environnement restera toujours la marche. Vos jambes constituent le seul moyen de transport qui permet les bifurcations, changements d’itinéraire, les pauses. Elles attendent vos instructions et se dirigent en fonction de ce qui attire votre curiosité.
Marcher c’est intensifier sa présence au monde, aux paysages, aux autres et à soi-même. Le meilleur moyen d’aller loin dans votre pratique de la photographie, c’est souvent de marcher lentement dans la bonne direction.

    

Adapter le matériel à son type de voyage 🎒

« Le plaisir du voyage est inversement proportionnel à la quantité de distractions que vous emmenez avec vous. »

Tim Feriss

Votre façon de photographier est influencée par les affaires que vous transportez avec vous. Cette semaine en Suisse je l’ai passé avec un gros sac à dos de 50L sur le dos et une tente 2 places accrochée sur le côté.
Ce n’est évidemment pas la meilleure configuration pour photographier puisque que je perds en mobilité, je retrouve peu voire quasiment pas d’angles de vue proche du sol, toutes mes photos sont prises à hauteur de l’oeil.

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Petit aperçu de mon matériel, photo prise dans les montagnes suisses, merci à la photographe 😉

L’appareil que vous emmènerez avec vous ne sera pas le même selon le voyage que vous faites. Nous ne voyageons et ne photographions pas tous de la même manière. Il y a des avantages et des inconvénients pour chaque type de voyage. Si vous choisissez de séjourner à l’hôtel, vous aurez la possibilité de graviter autour d’un même lieu, d’approfondir la relation avec la ville, les habitants, vous aurez la possibilité d’avoir une clé pour mettre vos affaires en sécurité pendant vos sessions de photographie.
L’avantage est l’inconvénient. En réservant un certain nombre de nuits dans un même endroit, on s’engage à y rester jusqu’à la fin de son séjour. Et par conséquent ne pas s’aventurer hors des sentiers battus comme on peut le faire muni d’un simple sac de voyage. La mobilité qu’offre celle de voyager sac sur le dos permet de prendre ses décisions au jour le jour et parfois décider à la dernière minute des lieux ou passer la nuit. On ne sait jamais ou l’on va se réveiller le lendemain, quels paysages on va rencontrer sur son chemin. Cette incertitude ne convient pas à tout le monde. Il pourra vous arriver de vous soucier constamment de l’emplacement de votre sac, d’être parano lorsque vous laissez vos affaires quelques secondes sans surveillance. De ce point de vue, le voyage à plusieurs apporte une plus grande liberté d’esprit et rassure sur le sentiment d’être en sécurité. Vous veillez l’un sur l’autre. Le meilleur moyen de trouver ce qui vous correspond c’est de tester ces différents types de voyage.

    

Vous ne pouvez pas tout photographier

Photographier tous les sujets revient à n’en photographier aucun et essayer de se trouver à deux endroits en même temps revient à être nulle part.
Plus vous photographiez de sujets différents, plus vous éparpillez votre énergie, votre attention et gaspillez votre temps. Pour remédier à ce problème, il vous faut la chose suivante :

Concentrez et guidez votre vision vers un élément particulier

À moins que vous ne restiez plusieurs mois sur le lieu en question, j’imagine que votre voyage ne dure pas éternellement, alors votre priorité en tant que photographe c’est d’avoir une idée de que vous voulez retirer du temps à votre disposition. C’est à travers la contrainte que vous pourrez sortir de votre zone de confort et ramener des photographies à l’image de votre voyage et des émotions qu’il vous a fait ressentir.

« La plupart des choses qui se passent dans le monde, nous les manquons photographiquement »

Martin Parr

Il est temps pour moi de vous révéler un grand secret dont tout le monde a déjà conscience mais qu’il est important de rappeler :

Chaque jour, chaque heure, à l’instant même peut être nous sommes entrain de passer à côté d’opportunités de prendre des photos mémorables.

La peur de manquer une photo est irrationnelle, des opportunités de photographier on en manque tous les jours de notre vie, alors au lieu de réfléchir à ce que l’on ne peut pas photographier ailleurs concentrons nous sur ce que l’on peut photographier ici et maintenant tout autour de nous. Nous avons tellement peur de louper des choses que nous remplissons nos itinéraires le plus possible. Je pense que c’est une erreur et que nous perdons beaucoup plus d’occasions en photographie en ne ralentissant jamais.

Installez vous, découvrez le rythme du lieu, apprenez à connaître les gens et laissez les s’habituer à vous.
Si vous voulez réaliser des portraits en voyage ne sautez pas dans tous les sens avec votre appareil, sous le nez des habitants du coin, vous ne ferez qu’éveiller les soupçons. Calmez vous, prenez le temps, photographiez et voyagez à votre rythme.

    

Pour un itinéraire flexible

D’après moi, le plus important en voyage, surtout pour un photographe c’est la flexibilité. Quand on voyage, généralement on désire réaliser le plus de choses possible en un minimum de temps et c’est la pire façon de procéder si vous voulez ramener des photos importantes et impactantes émotionnellement. En faisant ça, on trace un itinéraire inflexible, duquel on s’interdit de s’éloigner au risque de ne pas pouvoir réaliser une partie de son « programme ».

Lors de mon voyage en suisse par exemple, ma seule et unique certitude fut le point de départ et le lieu d’arrivée qui sont tous les deux le même : Genève. Entre deux nous avions une idée de l’itinéraire à suivre sans nous imposer une destination précise pour autant et sans connaissances préalable des lieux que nous voulions visiter.

Cette flexibilité est bien entendu rendu possible lorsque l’on possède peu d’affaires à transporter d’un lieu à l’autre. Il est évident que l’on va rester stationnaire et moins partir à l’aventure si cela implique de traîner une valise de quarante kilos derrière soi tous les jours.

    

La magie se trouve dans l’inattendu

“Quand rien n’est prévu, tout est possible !”

Antoine de Maximy

L’inattendu n’attendra jamais votre permission pour s’immiscer dans votre voyage. Les problèmes ne préviennent jamais à l’avance et les imprévus sont le ciment d’un voyage éprouvant mais mémorable. Il faut s’avoir s’adapter et modifier les plans si le besoin s’en fait ressentir.

C’est en « perdant » votre temps et en vous perdant vous même que vous ferez des photos mémorables. En allant dans les lieux déconseillés par le guide. En arpentant les ruelles sinueuses, les impasses, les chemins de traverse. En vous imprégnant de l’ambiance, des odeurs, des sons, de la culture, des gens. Le meilleur moyen de passer à côté des plus belles expériences de votre vie c’est d’avancer la tête baissée, les yeux dans le vide. Voyager pour les autres est pour moi la manière la plus triste et misérable de voyager.

Voyager et photographier dans un nouveau pays, c’est comme avoir un nouvel oeil qui nous donne la possibilité de voir le monde différemment. Cela nous permet d’avoir une pensée plus flexible, créative et complexe. Photographier différents pays, différentes cultures diversifie les perspectives à propos du même sujet.

    

Pour un périmètre à l’intérieur duquel photographier

Choisir le pays, la ville et maintenant un périmètre encore plus réduit ?

Je sais ce que vous êtes entrain de vous dire : « Aymeric tu viens de nous faire l’apologie d’un itinéraire souple et flexible, et maintenant tu veux qu’on trace un périmètre sur la carte et le respecter ? C’est insensé ! »

Mon but n’est pas de vous mettre en cage et de vous empêcher de profiter de votre voyage mais de maximiser l’efficacité de votre pratique de la photo pendant celui ci. D’ailleurs je ne vous incite pas à suivre tous les conseils à la lettre mais de vous approprier ce qui vous correspond. J’ai parfaitement conscience que ce conseil n’est pas pour tout le monde, il est réservé à ceux qui font un voyage dans l’objectif de se consacrer à la photographie à 100%.

Réduire son champs d’action est un bon moyen de détecter plus rapidement des opportunités d’images. D’analyser ce qui sort de l’ordinaire, ce qui a le potentiel de devenir un sujet sérieux.

    

L’avantage de ressembler à un touriste 👕👖

Malgré le désir de la plupart des photographes de s’effacer sur le terrain, de devenir invisible pour capturer son sujet dans son état naturel, que ce soit l’expression du visage pour un portrait, ou la réaction des passants dans la rue : Chaque photographe possède une présence, plus ou moins forte qui altère le cours des évènements. C’est inévitable. Vous avez un corps, un style vestimentaire, une façon de vous comporter et une manière particulière de vous tenir, un appareil plus ou moins volumineux. Tous ces minuscules détails qui semblent sans importance dans votre pratique de la photographie vont pourtant déterminer la perception que les gens ont de vous.

Dans certaines situations, vous ne pouvez pas vous cacher et si vous désirez photographier, il faudra assumer cette présence et l’utiliser pour nouer un lien avec votre sujet. Avoir l’air d’un touriste possède de multiples avantages même dans sa propre ville. Faites comme si vous veniez d’arriver, que vous ne connaissiez rien ni personne aux alentours. Plus vous avez l’air d’un paumé qui débarque moins les gens se méfieront de vous, ils se diront que vous photographiez tout et n’importe quoi parce que vous visitez la ville pour la première fois et seront beaucoup moins agressifs si vous pointez votre appareil dans leur direction.

La capacité à photographier dans les lieux publics relève parfois autant du domaine de la photographie que celui de la magie. Certains photographes comme l’américain Garry Winogrand sont de vrais maîtres en la matière. Ses compétences d’acteurs et sa capacité à détourner l’attention en prétendant être un débutant en photographie qui se débat avec les réglages de son appareil furent remarquables. Alors évidemment, je vous déconseille de jouer le touriste si votre ville comporte un nombre d’habitants maximum de 10 habitants au kilomètre carré en pleine saison touristique vous risqueriez d’être pris pour un fou.

Nous traversons une période particulière ou tout le monde est soucieux de son image, de ses potentielles utilisations commerciales ou autres. Il n’a jamais été aussi compliqué de photographier les gens dans la rue. Restez calme et photographiez sans vous mettre la pression, car vous ne faites rien de mal.

Chaque métier possède des codes vestimentaires plus ou moins définis. Le photographe n’en a aucun et c’est un avantage à mettre à profit. Trop souvent, l’apparence discrédite ou renforce l’image que l’on porte sur autrui. Pourtant c’est cette apparence qui donne corps à votre identité, c’est elle que l’on voit et qui restera en mémoire lorsque l’on vous rencontre pour la première fois. Si vous savez utiliser et modifier votre apparence avec intelligence en fonction de l’environnement, vous pourrez photographier n’importe ou.

C’est le principe mis en avant dans le film « Arrête moi si tu peux » avec Tom Hanks et Leonardo Dicaprio au casting. Le simple fait de s’habiller avec l’uniforme d’un pilote, ou la blouse d’un médecin lui confère l’autorité de ceux ci alors même qu’il n’en a aucune compétence.

Voici un vrai faux pilote dans toute sa splendeur
Je vous conseille le film.

Le meilleur moyen de photographier dans un hôtel de luxe est d’être habillé en costume cravate. Si par contre vous désirez photographier dans un camping, un short, un t-shirt et une paire de tongs feront largement l’affaire. L’appareil photo est un outil qui vous permettra d’ouvrir la moitié des portes, l’autre étant votre capacité à vous adapter et à être sur la même longueur d’onde que la communauté ou le groupe de personnes que vous désirez photographier.

La photographie est un langage universel. Tout le monde ne parle pas la même langue mais semble comprendre le langage de la photographie. Un échange de regard, un hochement de tête presque imperceptible et nous comprenons que nous avons l’autorisation de cet inconnu de déclencher et ainsi figer cet instant à jamais. Les mots ne sont pas toujours nécessaires, l’appareil photo offre l’accès à toutes sortes de situations. Parfois je me demande si c’est moi qui détermine la direction du voyage ou si c’est lui qui guide mes pas. La photographie est une excuse pour faire des rencontres, pour se faufiler n’importe ou. C’est un passeport universel.

    

La recherche excessive de l’exotisme en photographie 🌴

Vous n’avez pas besoin de vous envoler vers un endroit « exotique » pour prendre des photos intéressantes. Pourquoi faire tout ce chemin pour justifier l’acte photographique ?
Il n’existe aucune équation mathématique farfelue qui proclame que plus la distance entre votre domicile et le lieu ou vous photographiez est élevée, plus vos photos vont s’améliorer. Le nombre de kilomètres qui vous sépare de chez vous, de votre culture ne changeront rien à la qualité intrinsèque de vos images.

Avant tout, il faut comprendre une chose : est exotique ce qui est différent. En partant du principe, que toi qui lit cet article derrière ton écran, tu es un occidental, européen, francophone ta définition de l’exotisme ne sera pas la même que celle d’un habitant d’un petit village dans un pays oriental, asiatique, sinophone. Cet habitant d’un lieu qualifié comme exotique ne voit certainement rien d’exotique à son propre quotidien, tandis qu’il considérera plus qu’exotique la jungle de voitures entremêlées constituant le rond point de la place de l’étoile au pied de l’arc de triomphe à Paris. (quiconque s’est déjà embarqué dans cette galère comprendra la référence) Considérez les choses autrement, lorsque vous partez à l’étranger à la recherche inconsciente de cette notion d’exotisme, c’est en réalité vous qui représentez l’exotisme pour les habitants du coin.

Imaginons maintenant que vous réalisiez un voyage en Chine pendant plusieurs années consécutives, le premier voyage vous plongera dans la définition même de ce que vous considérez comme exotique, mais si c’est votre 5e ou 6e voyage, que vous avez créé des liens avec des habitants sur place, que vous connaissez les lieux mieux que votre poche et que vous vous y sentez chez vous, peu à peu vous perdez ce regard de touriste que vous possédiez lors de votre première visite. Lorsque l’inconnu devient connu, l’exotisme s’estompe et finit par disparaître.

Certains pays, certaines populations comprennent ce processus, le regard que porte le touriste sur leur culture et jouent de cette notion d’exotisme. Si l’on pouvait traduire ça en une seule phrase ce serait probablement : « Ils veulent de l’exotisme alors on va leur en donner. »

Cela conduit à des situations que je trouve personnellement malsaines de photographes aisés occidentaux qui voyagent jusque dans un pays, un petit village lointain dans l’unique but de photographier une tribu. Les habitants de ce village exposés à la mondialisation ont eux aussi évolué et flairent l’opportunité économique. À l’arrivée des touristes, ils enfilent leurs costumes traditionnels, pour se conformer, s’adapter à l’image perçue par les occidentaux de leur manière de vivre. Ce qui est bien sûr en décalage total avec la réalité. Les touristes repartent avec des photos et l’illusion d’avoir réalisé une expérience unique et les locaux eux gagnent de l’argent avant de se changer pour retourner à des habits classiques que nous portons presque tous aujourd’hui.

Cet exotisme est une mise en scène totale stéréotypée que les deux parties , le touriste et le local contribuent à faire perdurer. Que dire des photographies qui résultent de ce processus ?

Qualifier une photo de belle et exotique revient à dire « c’est une belle photo parce qu’elle n’est pas d’ici. » Or la provenance d’une image n’est jamais la caractéristique principale de son intérêt, elle n’est qu’une information parmi tant d’autres comme l’appareil utilisé pour la réaliser, les réglages déterminés par l’appareil, la personne ayant photographié…

Cessons de vivre dans l’illusion que l’ailleurs représente une source intarissable d’inspiration et produise sans aucun doute de meilleures photographies, ce n’est pas le cas. Commençons par apprendre à créer des images bouleversantes ici et maintenant.

    

Jusqu’où devrions-nous aller ? 📍

Quoi qu’il arrive,vous ne pourrez jamais photographier plus loin que chez vous. Tout simplement parce que l’environnement que vous connaissez le mieux, votre propre quartier, votre ville que vous devez traverser tous les matins pour aller travailler ou chercher le pain à la boulangerie, cet environnement c’est de la photographie de voyage pour presque tous les autres photographes dans le monde. Mais c’est vous qui avez la chance d’y passer le plus de temps et de pouvoir y réaliser un projet photo approfondi et abouti.

Ce n’est jamais le lieu qui détermine la qualité d’un travail photographique c’est toujours votre implication personnelle et ce que « vous » vous souhaitez exprimer sur ce lieu, ce qu’il vous fait ressentir.

Alors la première étape finalement c’est peut être de tester le voyage en bas de chez soi, et de se rappeler tous les jours que :

« Après avoir fait le tour du monde, tout ce qu’on veut c’est être à la maison. »

Orelsan

N’oubliez jamais que l’herbe n’est jamais plus photogénique à l’autre bout du monde.

    

Le chemin du retour

Il n’existe pas de voyage complet sans la dernière et ultime étape de l’aventure : le retour. Quelle que soit la raison de votre retour, la reprise du travail, le manque d’argent, le mal du pays, le manque de vos proches ou tout simplement le billet d’avion, de train, de bus qui attend votre embarquement à une heure précise.

Le retour est l’une des douze étapes présentes dans « Le voyage du héros » ou « Monomythe » de Joseph Campbell. La référence de la structure narrative. Qu’il soit heureux ou douloureux, dans tous les cas il désoriente le voyageur.

    

Après le voyage ?

« Dans un voyage, on évolue, on change, on se transforme. Et souvent, on rentre et tout est annulé par le retour. Il faut essayer de garder des traces. C’est pour cette raison peut-être que j’ai envie de parler sur ces photos. C’est peut être justement pour que tout cela ne soit pas annulé par le retour et la fin de l’errance, que cela ne reparte pas dans le vent, pour recommencer la prochaine fois, recommencer toujours cette insatisfaction cette quête. Que ça me fasse avancer, que j’arrive vers le bonheur, que je sois heureux. »

Raymond Depardon

Une expérience en deux temps

La boucle est bouclée ? Pas vraiment…

Ce n’est pas parce que vous êtes rentré chez vous que le travail est terminé et qu’il faut vous mettre les pieds sous la table ! Au contraire vous ne faites que débuter la partie la plus importante et la plus intéressante : l’editing. Ce serait dommage après tant d’efforts de votre part à la prise de vue et sur le terrain d’abandonner et de laisser traîner tous ces images intéressantes.

L’objectif n’est pas de classer toutes vos photos dans un dossier voyage, le refermer et ne jamais le réouvrir. Les photos que vous avez prises durant votre voyage peuvent participer à l’élaboration d’un projet qui vous est personnel, arpentez les avenues de vos archives et classez vos photos dans différents dossiers. Le piège serait de tout regrouper uniquement sous le thème très vague de voyage ou de créer un sous dossier avec toutes vos photos de lampadaires, bref vous m’avez compris. Essayez d’élaborer une structure narrative, voyez ce qui vous a attiré et les pistes vous pourrez potentiellement poursuivre si vous retournez là bas ou pour un projet plus libre et ouvert dans lequel certaines de vos photos peuvent se classer.

    

Combattre le désir de regarder ses images instantanément 👀

L’excitation du voyage fait perdre tout objectivité sur la qualité des images

Sans la prise de recul nécessaire, nous avons l’étrange impression de n’avoir pris que des photos intéressantes. Et ce n’est pas étonnant. Vous avez découvert un lieu nouveau dont vous vouliez garder un souvenir, montrer à vos proches ce que vous avez vu et fait, ou vous étiez.

Le problème serait alors de rester coincé dans l’image cliché, dans la photo du touriste par excellence identique à celle de tous les autres, une photographie qui ne reflète pas ce que vous avez vécu et ressenti pendant votre voyage. C’est pour cette raison qu’il faut être très strict à l’étape de l’editing pour ne sous aucun prétexte laisser entrer dans votre projet ce type d’images.

La qualité d’un photographe est inévitablement en corrélation avec ce qu’il montre. Vous avez le droit d’être un photographe médiocre mais uniquement en coulisses.

Vos images se divisent alors dans deux catégories distinctes : le lot d’images « montrables » et le lot d’images « non-montrables »
Dans la première vous retrouverez les photographies que vous allez montrer à vos amis, à votre famille. Ou encore que vous allez poster sur les réseaux sociaux. Peut être même que vous déciderez de les éditer en vue de réaliser un projet photo construit, cohérent qui aboutira à un livre. Ensuite, dans la seconde catégorie se trouvent les images qui ne passeront pas le filtre du monde extérieur. Vous allez les garder pour vous, dans un fichier quelque part au fond de votre disque dur
Pourquoi ne sont-elles pas montrables ? Parce que vous les considérez « ratées », elles ne correspondent pas à la sensation que vous avez vécu à cet instant précis. N’oubliez jamais qu’il y a rarement une corrélation entre la réalité du voyage et les photos qu’on vous montre de celui ci. Généralement tous les mauvais moments sont volontairement non photographiés ou écartés pour ne laisser place qu’aux instants heureux.

Redécouvrir ses images, c’est comme voyager une seconde fois

« Les qualités et les intentions spécifiques des photos tendent à se fondre dans l’émotion poignante que suscite le passé en tant que tel. La distance esthétique semble inhérente à l’expérience qui consiste à regarder des photos, même si cette distance n’apparaît pas tout de suite, mais seulement et à coup sûr, avec le passage du temps. »

Susan Sontag

    

Compléter le travail photographique par l’écriture ? 📝

« Le mot est important. Et ce monologue que je donne aujourd’hui à lire est une autre voie parallèle aux photos. C’est comme une voie de chemin de fer : d’un côté il y a la photo et de l’autre, le texte. D’une certaine manière, ces mots me rassurent; ils étaient déjà là, j’aurais pu les enregistrer pendant mes voyages, dans ma chambre d’hôtel. Mais je le fais maintenant, une fois le voyage terminé, parce qu’il y a un temps pour voyager et un temps pour parler de soi, donner une voix à la photo, renvoyer du son à l’image. »

-Raymond Depardon

    

La nécessité de lier la parole aux images 🗣

Le texte est un outil créatif que vous pouvez associer à vos images lorsqu’il y a un sens derrière son utilisation. Si vous êtes photographe, c’est que vous avez choisi la photographie et non l’écriture pour vous exprimer. Néanmoins aussi bien qu’un écrivain dispose de la possibilité d’illustrer ses textes par la photographie pour y apporter une nouvelle couche de compréhension, le photographe possède lui, celle de lier le texte à ses images.
Les mots peuvent apporter le contexte à l’histoire que vous essayez de raconter par le biais de vos photographies. N’hésitez pas à écrire si vous en ressentez le besoin, partagez vos sensations face au paysage, face à la nouveauté, en quelle mesure ce voyage bouleverse votre quotidien, vos réflexions, votre mode de vie. Que vous écriviez au fur et à mesure du déroulement de votre voyage ou en rentrant chez vous peu importe.

Le temps évapore les souvenirs. Le seul moyen d’allonger leur espérance de vie est de les consigner sur papier. Que ce soit par l’impression de vos photographies, ou les notes écrites. Le texte n’est pas là pour évincer l’image mais pour l’accompagner, la tenir par la main.

    

L’utilisation d’un carnet de voyage 📘

De tous temps, les artistes, les scientifiques, les écrivains ont fait usage de cette pratique. Le carnet de voyage raconte les moments forts d’un temps passé ailleurs que chez soi, il relate les aventures, permet de fixer les souvenirs contre les pages et les fragments de mémoires entre les lignes. Aujourd’hui tout le monde est capable de réaliser un carnet illustré de son voyage. Léonard de Vinci en est sans aucun doute le plus célèbre représentant de cette pratique. Il gardait toujours un petit carnet à la ceinture, catalogue de ses nombreuses passions et obsessions. Le carnet vous permet de noter des idées qui serviront votre pratique de la photographie.

    

Nous arrivons maintenant à la fin de cet article mais avant il nous reste une question à nous poser ensemble. Quel est l’impact du voyage sur l’évolution d’un photographe ?

    

Le voyage fera-t-il de vous un ou une meilleur.e photographe ?

Pas nécessairement, je pense qu’il peut même vous rendre encore plus mauvais si vous n’êtes pas à l’écoute de vos sensations. Il peut vous enfermer dans l’idée qu’ailleurs c’est mieux qu’ici. Que la qualité dépend de la distance entre vous et les choses que vous connaissez ce qui n’est absolument pas le cas. Je suis convaincu au contraire que plus vous connaissez votre sujet que ce soit un pays, une personne, une ville, un groupe, plus vous ferez des photos qui auront un impact.

Ce qui est sûr, c’est qu’il vous permettra de prendre du recul et de regarder différemment les lieux que vous photographiez régulièrement. Restez ouvert d’esprit, photographiez avec intensité.

Je terminerai cet article (déjà bien trop long) par ces quelques mots :

Parfois vous avez la sensation qu’il vous faut faire des milliers de kilomètres, de traverser vents et marées pour justifier la qualité de vos images et stimuler l’envie de sortir l’appareil du placard. En réalité pendant que vous vous plaignez dans l’attente du prochain voyage, les instants les plus forts se passent juste sous vos yeux, juste ici, maintenant, devant vous. Le sourire d’un proche, la soirée partagée avec vos amis, la promenade quotidienne avec votre chien. Alors ne les manquez pas. Ailleurs commence ici.

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! N’hésitez pas à commenter et réagir à l’article. J’espère vous avoir aidé à préparer vos prochains voyages photographiques 😊

Bon voyage ! (Même si c’est en bas de chez vous.)

    

Retrouvez mes photographies sur mon compte instagram : https://www.instagram.com/aymericcr/

    

0 réponse sur « Photographier en voyage : Comment bien se préparer✈️ »

Félicitations pour cet article de qualité qui te tenait à coeur de partager suite à ton retour de Suisse. Tu nous guide avec ta passion sur des chemins de reflexion sur le thème de la photo et du voyage. Merci à toi Aymeric de nous transmettre ton enthousiasme à travers tes expériences, de nous permettre ne nous poser les bonnes questions, nous éclairer, nous conseiller sur un sujet qui semble intarissable. Quand est-ce le prochain départ ? 📸

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