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Étude de cas d’un projet photo abandonné

La plupart du temps, les échecs restent au fond d’un tiroir, ou d’un disque dur. Pour vous, j’ai décidé de me sacrifier et de ressortir des archives un embryon de projet, qui selon moi n’a pas fonctionné et a été par conséquent abandonné en cours de route.

Pourquoi je me fais du mal ? Pour vous apprendre que chaque projet abandonné, chaque « échec » a lieu d’être et peut faire progresser votre pratique de la photographie. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » comme dirait Lavoisier.

Les plus grands photographes ont atteint la maîtrise de leur discipline et la réalise comme une seconde nature. Ils ont intégré l’expérience nécessaire pour ne plus systématiquement avoir besoin de se référer aux règles, s’éterniser sur les aspects qui font barrière aux débutants. À force d’une pratique consciente et répétée, la plupart des techniques, processus de réflexion, sont devenus si intuitifs qu’ils ne sont plus capables eux même d’expliquer clairement les étapes à suivre pour produire dans le même état d’esprit.

C’est là que j’interviens.

En tant que lecteur, spectateur, nous n’observons que la face émergée de l’iceberg. Nous n’avons entre les mains, que les ouvrages qui ont survécu à toutes les étapes intermédiaires qui font qu’un projet arrive jusqu’à la publication.

La majorité de nos projets ne verront jamais le jour et ne sortiront jamais des coulisses.

Ce qu’il s’y passe est plus important pour le photographe que le résultat final mais n’est pour autant jamais dévoilé. Cette version bancale de votre travail, le processus de création est ce qui contribue à l’élaboration de l’œuvre.

Imaginez que tous les plus grands artistes soient dans l’optique de partage, des projets inaboutis, des morceaux inachevés. Nous aurions une tout autre approche de la création. Car ces mêmes artistes que nous admirons nous semblent arrivés à un niveau inatteignable. Pourtant eux aussi sont comme vous victimes de doutes, eux aussi ont des projets qui tombent à l’eau, des mauvaises images.

Dans le dernier article nous avons vu comment aller jusqu’au bout de ses projets photo.

La lecture de cet article est d’ailleurs indispensable avant celui que je vous écris aujourd’hui, car l’objectif de cette étude de cas est de compléter, illustrer mes propos et les appliquer à un cas concret.

Si vous ne l’avez pas encore lu, vous pouvez le retrouver ici :

Parce qu’une image vaut 1000 mots comme on dit, je vais vous présenter l’un de mes projets, pourquoi je l’ai réalisé, et surtout pourquoi il a échoué et pourquoi je l’ai abandonné.

L’idée de base du projet

Il existe des dizaines de façons de trouver l’idée de son projet photo. Parfois l’idée découle d’une image qui entraîne à elle seule tout un projet. Parfois, le projet peut surgir des archives du photographe. D’un évènement de sa vie, d’un lieu etc

Dans mon cas, l’idée de ce projet a germé d’une manière un peu particulière, d’où l’intérêt de vous en parler. L’idée provient du projet d’un autre photographe que vous connaissez peut-être : Joel Meyerowitz.

Pas besoin d’ajouter une légende, elle est sur l’image

Meyerowitz, est un photographe américain, pionnier de la photographie en couleur et connu principalement pour ses photographies de rue.

C’est également le photographe qui a accédé à la zone Ground Zero pour photographier les lieux suite à l’effondrement des tours jumelles le 11 septembre 2001.

Pour recontextualiser, mon projet s’est développé fin 2019, date à laquelle je suis allé à Paris photo au Grand Palais. Ou j’ai eu la chance d’échanger quelques mots avec Meyerowitz qui a signé son livre Retrospective que je conserve précieusement.

Le projet qui m’a inspiré, c’est sa série sur l’Empire State building à New-York. En voici quelques images :

Dans cette série Meyerowitz se balade autour de l’Empire State building, de près comme de loin et l’établi comme la toile de fond de son projet.

Comment le projet qui m’a inspiré a été inspiré

Je suis tombé sur les « 36 vues du Mont Fuji » de Hokusai. Si vous regardez cette œuvre, Hokusai était probablement le premier photographe de rue, avant la photographie de rue, parce que ses dessins représentent tous la vie sur la route d’Hokkaido, avec des pêcheurs, des fermiers, des geishas, des bandits, des guerriers et des hommes riches. Ils sont tous là, sur la route, et ils font des affaires. Ils vendent des choses, ils récoltent des choses, ils font l’amour dans les champs, ils s’entretuent : La vie sur la route d’Hokkaido. Et en arrière-plan, le Mont Fuji. Il est là, dans la brume, la pluie, la tempête, le soleil et les éclairs, et il est toujours présent. Je me souviens avoir regardé cette œuvre et avoir pensé : Supposons que je prenne l’Empire State Building, et que je le transforme en Mont Fuji. Et puis, c’était mon sujet nominal : l’Empire State Building. Puis je l’utilise comme un pylône, et je le contourne de près et de loin dans le Queens. Et j’ai simplement regardé la vie là où je la trouvais, en relation avec l’Empire State Building. C’était une façon de me donner la rue sans avoir à faire des photos de rue comme j’en faisais auparavant. Et cela m’a permis de travailler avec tout ce qui se trouve dans le cadre, de près comme de loin, ce qui est en quelque sorte ce que j’essayais de faire avec ces dernières photos de rue, les photos non hiérarchisées.

Joel Meyerowitz, Interview David Walker 2013

C’est donc Hokusai qui a inspiré Meyerowitz qui m’a inspiré moi. Mais qui a donc inspiré Hokusai ?

36 vues du Mont Fuji – Hokusai

Dans les 36 vues du Mont Fuji, Hokusai dépeint la vie quotidienne aux abords du Fuji. Le laissant apparaître, de près comme de loin dans ses compositions, mais toujours présent, c’est l’âme qui plane au dessus de la série.

C’est cette idée appliqué à New York qui a déclenché le projet de Meyerowitz.

Au passage, Hokusai a également inspiré Van Gogh :

Van Gogh

L’idée à mon tour, n’était pas de reproduire le même projet que Meyerowitz mais d’appliquer ses principes à ma propre vie et à mon environnement quotidien. Comme lui l’a fait avec Hokusai. Comme je ne me trouve pas à New York, mais à Nantes, je me dois de composer avec mon environnement.

Ne vous contentez pas de voler le style, volez la pensée derrière le style. vous ne voulez pas ressembler à vos héros, vous voulez voir comme eux.

Austin Kleon, Steal like an artist

Contrairement aux idées reçues, se faire copier n’est pas une mauvaise chose au contraire, c’est signe que notre vision est assumée, arrivée à maturité et influence d’autres photographes.

La fiche du projet

Ce n’est pas toujours le cas mais pour certains projets, je trouve utile de mettre sur papier la direction que je veux poursuivre pour y voir plus clair.

Sur cette fiche, je dois répondre aux questions suivantes :

Quel est mon sujet ?

Quel est l’angle d’approche ?

Quels sont les choix techniques ? Quel est le matériel utilisé ?

Quel est le cadre temporel ?

Le sujet :

Mon sujet pour ce projet, c’est la Tour de Bretagne.

Pour ceux qui ne connaissent pas, la Tour de Bretagne est un immeuble qui s’élève dans le centre de la ville de Nantes.

Elle ressemble à ça :

ceci n’est pas ma photo

Au point ou j’en suis je vais oser la comparaison, la Tour de Bretagne, c’est mon Empire State Nantais. J’imagine que si j’avais réalisé ce projet à Paris, j’aurai photographié la Tour Montparnasse.

Maintenant que j’ai une idée de quoi photographier, il faut que je sache de quelle manière.

L’angle d’approche :

L’angle d’approche, c’est la manière dont je veux représenter mon sujet. Il en existe plein, et pour un soucis de cohérence entre les images d’un même projet, il vaut mieux la plupart du temps choisir un angle et s’y tenir. Essayer de tout faire, et de représenter cette tour de toutes les manières possibles desservirait mon propos.

J’ai voulu donner l’impression qu’elle règne et porte toujours un oeil sur Nantes, ou que l’on soit.

Le choix technique :

J’ai pris le parti de photographier la tour en noir et blanc. D’un point de vue assez éloigné. Que pouvais-je faire, jeune photographe que je suis face à la couleur de Meyerowitz ?

En ce qui concerne le matériel, pour moi le choix est vite fait puisque je ne possédais qu’un appareil et un objectif.

Le cadre temporel :

Je voulais représenter la tour avec le maximum de points de vue possibles, je ne me suis pas donné un temps imparti pour ça. Le projet se termine, lorsque j’ai épuisé les angles, et les lieux depuis lesquels je peux voir la tour.

En soit mon projet n’est pas mauvais sur le fond, mais il n’est pas bon non plus. Nous allons voir pourquoi

Pourquoi j’ai abandonné mon projet

Mon projet avait lieu d’être, il avait un concept, un lieu défini, un choix technique, un angle. Alors pourquoi je l’ai abandonné et pourquoi n’est-il ni bon ni mauvais ?

Parce qu’il ne sortait pas du cœur

Continuer à s’accrocher au projet, essayer de le poursuivre coûte que coûte même lorsque l’envie a disparu n’est selon moi, pas la bonne solution. J’ai prononcé le mot envie, mais c’est plus que ça, c’est un feu intérieur qui brûle et qui s’autoalimente qui vous donne la force de développer un projet jusqu’à la fin. C’est trop difficile d’essayer de pousser quelque chose qui n’est déjà plus au centre de votre esprit.

La seule manière de réaliser un bon projet c’est d’aimer le réaliser.

ça ne veut pas dire que je regrette d’avoir créé celui ci, car il m’en a appris un peu plus sur qui je suis, et quel photographe je veux devenir et c’est d’après moi ce vers quoi devrait tendre chaque projet.

Parce que le processus était plus important que la finalité

Certains projets que vous réaliserez n’auront pas comme but la finalité, mais le processus, tout le déroulement de pensée qui vous amènera à créer vous aidera dans vos futurs projets.

Lorsque l’on se lance dans cette manière très particulière de penser la photographie (les projets photo), nous avons besoin de référents, et je pense qu’il est bon de s’inspirer de ce qui existe déjà pour plusieurs raisons.

Pour comprendre pourquoi ça existe, mettre les mains à la pâte donne une toute autre expérience de l’appréciation des projets d’autres artistes et de l’art en général.

La seule manière de comprendre pourquoi on veut le faire et si on veut vraiment le faire c’est d’essayer.

C’est mieux d’essayer quelque chose d’imparfait que d’imaginer son projet parfait sans jamais le démarrer.

Parce qu’il ne me correspondait pas

J’aime Nantes, et la tour de Bretagne est cool, mais je n’ai pas un lien assez fort avec pour avoir envie de continuer plus longtemps. Quand on commence à se demander pourquoi on photographie ça, c’est mauvais signe. L’une des choses les plus importantes est de ressentir un intérêt pour le sujet photographié. Et pour le coup j’avais l’impression de devenir une machine à trouver des angles différents de la tour.

En faisant, on se rend compte de ce qui nous plaît et ne nous plaît pas, dans telle ou telle manière de pratiquer la photographie. Evidemment, nous évoluons avec le temps mais en règle générale, il y a des manières de travailler qui ne correspondent pas à notre personnalité.

Moi par exemple, me poser avec un trépied et attendre plusieurs minutes, j’ai du mal. Je suis souvent en mouvement et capable d’envoyer des coups de flashs à droite à gauche, ce qui ne convient sûrement pas à tous les photographes.

Si je dois retenir une chose de ce projet abandonné, c’est qu’il est bon parfois d’avoir un cadre à l’avance en tête, que ce soit un lieu qui vous tienne à cœur, une personne qui doit apparaître tout au long du projet, mais de ne pas se restreindre et se laisser une certaine liberté de mouvement dans ce cadre. Une contrainte flexible. De l’imprévu dans le prévu.

Les images du projet :

Après vous en avoir autant parlé, je vais devoir vous le montrer. Il n’est sûrement pas représentatif de ma pratique aujourd’hui, et il est inabouti mais ce projet fait partie de mon aventure avec la photographie et je n’en ai pas honte.

En découvrant ces images, peut-être comprendrez vous pourquoi je ne le trouve ni bon ni mauvais. Je suis juste indifférent.

Si il y a des nantais qui lisent cet article et qui souhaitent un tirage de la Tour de Bretagne, faites coucou en message privé.

Merci d’avoi lu jusqu’au bout ! On se retrouve dans le prochain article !

2 réponses sur « Étude de cas d’un projet photo abandonné »

Merci pour cette article ! Je m’identifie à certains aspects de ce que tu décris dans le processus de création et des doutes qui en découlent !

Très bon article !

Merci d’avoir lu ! Je pense que c’est tout à fait normal de douter, je voulais justement montrer ces aspects de la création qui se passent en coulisses, mais qui forgent le projet.

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