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« Memento Mori » : L’analyse de mon premier livre photo

En 2016, sans le savoir débute mon aventure avec la photographie, 6 ans plus tard voici le premier projet photo qui en résulte “Memento Mori”. J’ai longtemps hésité à vous le présenter car il est très personnel mais traite d’un sujet auquel nous sommes tous confrontés, notre propre mortalité et celle des personnes que l’on aime. 

Lorsque j’ai découvert réellement la photographie, j’avais 16 ans, aujourd’hui j’en ai 22.

Ce livre marque en quelque sorte mon passage à l’âge adulte.

Le jour de mes 20 ans, j’ai fait une crise existentielle, période à laquelle ce livre a émergé. Je me suis mis à peindre et photographier sans relâche deux mois durant, convaincu que je devais laisser un souvenir en ce monde, pour moi, et pour mes proches.

C’est un âge symbolique qui a marqué le début de la fin d’une période importante de ma vie. Souvent angoissé par l’avenir, il m’était à ce moment là, impossible d’en imaginer un pour moi. C’était comme si je venais de terminer ma vie. Comme un instant de lucidité, après avoir terminé un jeu vidéo, après avoir surpassé le dernier niveau.

Diagnostiqué d’une crise de la vingtaine aiguë, (accentuée par l’idée qu’il faille être toujours meilleur, toujours plus jeune) j’ai alors cherché un sens autour de moi. Lorsque la plupart des jeunes de mon âge allaient en soirée, j’ai passé ces moments à discuter et à photographier mon frère, ma mère, mon chien, mes grands parents, mon quotidien.

Si j’ai appris une chose ces dernières années, c’est : que vous l’acceptiez ou non, le temps continue à s’écouler avec ou sans vous, les gens continuent à avancer dans leur vie avec ou sans vous. Même lorsque l’on veut retenir quelque chose, le passage du temps fait son effet et le modifie. C’est sûrement l’origine de cette obsession que j’ai à figer ma vie dans ce projet. Vous pouvez rester au même endroit, mais vous ne serez plus la même personne.

Le temps passe à une vitesse folle et jamais je n’aurai imaginé en arriver là, et pourtant je le sais ce projet, ce n’est que le début d’une vie remplie de photographies.

Voici donc mon premier sérieux projet photo abouti et destiné à devenir un livre. Il découle de ces cinq dernières années, de moments de bonheur et de tristesse partagés, entouré de mes proches, confronté à mes angoisses, à la peur de voir disparaître les personnes que j’aime et au plaisir de partager leur vie.

Cet article est particulier, car il vous présente un travail qui compte beaucoup pour moi. J’espère que ça vous plaira !

Pourquoi Memento Mori ?

“Un beau sujet peut cristalliser la tristesse, du fait de son vieillissement, de sa dégradation ou de sa disparition. Toutes les photographies sont des memento mori. Prendre une photo, c’est s’associer à la condition mortelle, vulnérable, instable d’un autre être (ou d’une autre chose). C’est précisément en découpant cet instant et en le fixant que toutes les photographies témoignent de l’œuvre de dissolution incessante du temps.« 

susan sontag « sur la photographie », 1977, p.31, 32

La naissance du projet

Il y a des projets qui naissent d’une idée, d’autres prennent forme de l’association de plusieurs images retrouvées dans les archives du photographe. Mon projet se situe dans cette seconde catégorie. Je n’ai pas eu l’intention de photographier “Memento Mori”, de le remplir d’images de mon plein gré, ce sont mes photographies qui m’ont guidé vers sa réalisation et m’ont donné l’envie de le créer. Le projet était déjà quelque part en moi, quelque part dans mon disque dur, mais il n’avait pas encore eu la chance d’émerger. C’est plus précisément ce titre qui a tout déclenché.

Créer un projet à partir de ses archives nécessite une organisation importante. Parfois, je n’ai pas envie de m’embêter et je préfèrerai transférer toutes mes photos dans un dossier fourre tout, mais si j’ai réussi à réaliser “Memento Mori” c’est parce que j’ai pris le temps de réunir mes images, les classer par ordre chronologique, et en faire une sélection jour après jour, semaine après semaine, année après année. 

MEMENTO MORI : Un titre symbolique

Voyons voir ce qui se cache derrière cette expression mystérieuse.

Le titre, c’est le premier contact avec un projet photo. Sa compréhension est parfois évidente et immédiate, il indique la nature du contenu que l’on s’apprête à consulter. Dans d’autres cas, il peut être vague et énigmatique. Ce qui laisse libre cours à l’imagination du lecteur.

D’après moi, il doit contenir l’essence d’un projet. Si nous ne devions lire que quelques mots, pour comprendre toute la complexité émotionnelle et expressive que le projet contient, c’est dans le titre que nous pourrions la retrouver. Sans trop en dévoiler, il donne un avant goût de ce qui attend le lecteur, le plonge dans son imagination l’espace d’un instant avant d’entrevoir la première photographie et de s’immerger dans ce nouvel univers mystérieux.

La signification première de “Memento Mori” c’est : « Souviens-toi que tu vas mourir »

Il ne faut pas le percevoir comme un titre sombre, le sujet étant plutôt d’apprécier pleinement ce que nous avons et nous rappeler du caractère éphémère de chaque instant, de profiter au maximum des petites choses. C’est avant tout un message d’espoir, de célébration de la vie mais il est voué à perpétuer la mémoire, la mienne pour que je n’oublie jamais, et celle de ceux qui n’ont plus la chance d’être là.

Cérémonie du triomphe dans les rues de Rome

La légende raconte qu’à l’époque, un général romain revenant triomphant d’une bataille était accompagné d’un esclave qui devait lui chuchoter au creux de l’oreille cette locution latine : « memento mori », afin de lui rappeler que sa gloire bien qu’elle soit récente et acclamée est tout aussi éphémère que sa propre vie. Une façon comme une autre de garder les pieds sur terre, et de lui rappeler son statut de mortel. 

« Se souvenir que je serai mort bientôt est l’outil le plus important que je connaisse pour m’aider à prendre de grandes décisions dans la vie. Parce que presque tout – toutes les attentes, toute la fierté, toutes les craintes d’échec – toutes ces choses disparaissent face à la mort vous laissant seule face aux choses vraiment importantes. Se souvenir que vous serez bientôt mort est le meilleur moyen d’éviter le piège de penser que vous avez quelque chose à perdre. Vous êtes déjà nu. Il n’y a pas de raison de ne pas suivre votre cœur ».

Steve Jobs

Le memento mori est avant tout un exercice spirituel, un rappel de votre présence au monde. Un jour, vous ne serez plus là. Accepter ce fait vous apportera paix et sérénité en attendant faites tout ce qui est en votre pouvoir pour vivre la vie que vous désirez, et transmettez le positif autour de vous. 

De toutes époques, les artistes se sont efforcés de représenter la mort.

En peinture, le Memento Mori est associé au genre pictural de nature morte que l’on nomme « Vanités ».

Philippe de Champaigne (1602-1674)

Cette vanité peinte par Philippe de Champaigne comporte trois éléments essentiels à l’existence : la vie représentée par la nature, ici une tulipe; la mort représentée par un crâne, et enfin le temps symbolisé par le sablier.

(Sablier que l’on retrouve dans la vidéo que j’ai créé pour présenter le projet)

Toutes ces vanités ont un point commun, la présence symbolique d’un crâne humain, le symbole absolu de la mort.

La photographie qui fait partie de mon projet et se rapproche le plus d’une vanité pour moi est la suivante :

© Aymeric Costa Real

Bien que ce crâne ne soit pas humain, et qu’il ne soit pas authentique sa présence renvoie à une mortalité présente avant même l’essor de l’humanité tel que nous la connaissons et le souci de la mort qui s’est développé chez notre espèce.

Quelle que soit la discipline artistique, les Memento Mori sont nombreux. Il existe des albums, des livres, des titres de chansons, d’épisodes de série.

Mon défi dans ce projet, c’était avant tout de livrer ma propre représentation, sensation, expression de ce Memento Mori en photographie.

Explication de la couverture :

Sur la couverture, on retrouve une image, un autoportrait. Les seules photos où je suis visible directement sont celles de la couverture et le dos du livre. Je n’ai pas l’habitude de me faire photographier ou de me photographier, mais je n’ai pas réfléchi très longtemps avant de faire ce choix qui me semblait logique et symbolique.

« Memento » implique le souvenir, braquer la caméra sur moi même et plus précisément mon cerveau en est l’illustration.

© Aymeric Costa Real

La posture provocante a été choisie en conséquence pour représenter la couverture.

Cette photo n’est en aucun cas une incitation à l’acte de suicide mais une invitation à regarder vers l’intérieur, à tourner la caméra, son attention, vers ce qu’il se passe à l’intérieur de sa propre tête. C’est un symbole qui m’a plu.

“De même que l’appareil photo est une sublimation de l’arme à feu, photographier quelqu’un est une sublimation de l’assassinat”

Susan Sontag

Ici, l’arme à feu est remplacée par l’appareil photo. Une permutation qui n’est pas un hasard puisque les deux se ressemblent plus que l’on imagine. Le vocabulaire en photographie se rapproche beaucoup de celui de la guerre, on “arme” son appareil, on “shoote”, on “déclenche”. Lorsque l’on est à court de munitions, on recharge son appareil de pellicules et non de cartouches.

Le photographe avant d’être un artiste est un collectionneur. Pour moi la photographie est l’ultime collection, personne ne peut collectionner les mêmes photographies puisqu’elles résultent de votre vie. Elles sont précieuses, pour vous, personne ne viendra les convoiter et permettent de faire perdurer l’existence d’un ou plusieurs moments vécus.

Peut être est ce une obsession, celle de retenir les choses. Peut être est-ce accumuler pour remplir le vide, ou en prévision du manque futur des sujets photographiés. La photographie conserve l’image de sa victime et lui donne une chance de vivre plus longtemps. Elle ne remplace jamais le moment lui même, mais adoucit le passage et la fuite du temps.

Cet autoportrait me pétrifie dans le temps et me rappelle l’importance de ces souvenirs.

Voici la photographie que j’ai choisi de placer au dos du livre :

© Aymeric Costa Real

Vous pouvez y lire l’inscription suivante : « A kid who never stopped believing in his dreams was here » autrement dit en français : « Un enfant qui n’a jamais cessé de croire en ses rêves était ici »

Cette photographie m’a été inspiré de la série photo « « Signs that say what you want them to say and not Signs that say what someone else wants you to say » de l’artiste anglaise Gillian Wearing.

Projet dans lequel elle fait participer des passants, en leur demandant d’écrire sur une feuille de papier ce qui leur passe par la tête. Les sujets sont acteurs et choisissent attentivement les mots qu’ils emploient et le message à communiquer. Parfois ceux ci sont bouleversants comme le très connu « I’m desperate » = « Je suis désespéré » de cet homme dans les années 90. Communiquant cette information avec un léger sourire.

‘I’m desperate’ 1992-3 Gillian Wearing

L’homme depuis toujours aime laisser une trace de son passage sur Terre. Que ce soit l’empreinte de sa main dans une grotte, une gravure au couteau sur le tronc d’un arbre, ou une inscription sur une feuille de papier.

Empreinte main négative / Grotte chauvet

L’artiste lui aussi tente de marquer son passage en laissant une oeuvre. C’est ce que je souhaite faire en vous livrant ce projet. L’important n’étant pas qu’il soit parfait, mais qu’il existe.

Mon message se divise donc en trois parties:

  • 1- Un enfant
  • 2- qui n’a jamais cessé de croire en ses rêves
  • 3- était ici / est passé par là

Pourquoi ai-je inscrit un enfant et pas un homme ?

L’enfance est souvent la période de la vie propice aux rêves, personne ne vous empêche d’y croire et de les poursuivre. Peut être parce que l’adulte perçoit le rêve d’un enfant avec légèreté.

Après tout l’enfant ne perçoit pas l’étendue de son engagement lorsqu’il annonce fièrement vouloir devenir astronaute ou super héros. Les rêves sont souvent présents depuis l’enfance, en cela les adultes qui continuent de les poursuivre sont toujours connectés à leur enfant intérieur.

Pour moi, il n’y a rien de plus fort qu’un adulte qui continue à poursuivre ses rêves et met tout en place pour les réaliser. D’un côté, on encourage un enfant, de l’autre on explique à ce même enfant devenu adulte toutes les raisons pour lesquelles il n’y arrivera pas.

En cela, il ne faut jamais cesser d’y croire, vous êtes la seule personne responsable de l’accomplissement de vos rêves. Il dépend de vous de prendre ou non votre destin en main.

La présence du texte dans le livre :

Il y a de multiples façons d’utiliser le texte dans un livre photo. En ce qui concerne « Memento Mori » je souhaitais que le texte face partie de l’oeuvre. Que le texte et les photographies soient en cohésion.

J’ai donc intégré trois textes un au début, un presque au milieu et le dernier à la fin.

J’ai fais une requête à mon frère qui a accepté de rédiger le texte principal après avoir découvert le projet et les images. Ce qui est d’autant plus important pour le projet puisque son portrait y apparaît à plusieurs reprises et qu’il est l’un des personnages principaux de ma vie et par conséquent de mes projets photo.

Le texte suivant est aussi le sien mais à la différence près qu’il a été choisi par moi même parmi ce qu’il avait déjà écrit lui même dans ses notes personnelles.

Memento Mori, texte de Adrien Costa Real

Une faible lueur éclaire l’obscurité

“On peut trouver le bonheur même dans les moments les plus sombre… Il suffit de se souvenir d’allumer la lumière”

-Dumbledore – Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban / JK Rowling

© Aymeric Costa Real

Le livre débute sur une photographie, celle d’une main qui semble surgir du bord de la page dans un noir le plus complet pour s’inviter à entrer dans le livre, une simple lueur, celle d’un briquet qui se détache de l’obscurité. Dans le noir total cette faible lueur oriente le spectateur.

Est-ce une lueur d’espoir ?

Il y a une raison derrière ce choix de démarrer le livre de cette manière, elle se trouve dans un manga dont je suis le déroulement depuis que je suis enfant : Dreamland par Reno Lemaire

Terrence Meyer est le personnage principal de ce manga. C’est un lycéen qui en surmontant sa phobie du feu devient contrôleur de feu dans le monde des rêves. Il est perdu et se retrouve malgré lui en voulant aider un SDF dès la seconde nuit au royaume des ténèbres, l’un des plus puissants royaume des cauchemars. Heureusement, en utilisant ses allumettes magiques il réussira à s’en sortir pour cette fois.

Dreamland planche du tome 1, Reno Lemaire

C’est en référence à cette planche que j’ai choisi cette photographie pour ouvrir la séquence.

Chronique d’un monde dévasté :

En avançant dans ce long couloir obscur, nous arrivons face à cette image qui présente l’inscription suivante : “chronique de la fin du monde”

Comme une prédiction, en guise d’avertissement à celui qui déciderait de tourner les pages du livre.

© Aymeric Costa Real

On découvre alors un monde entre construction et destruction. Partout ou l’Homme passe, le paysage est modifié.

Aymeric Costa Real

Pétrifiée par le regard de Médusa ? Victime de Pompéi ? Figée dans la pierre puis par la photographie.

Un accident inévitable :

© Aymeric Costa Real

La séquence choisie et son enchaînement bien particulier pousse le spectateur vers le crash.

Cette photo me parle beaucoup, évocatrice, elle représente les traces de cet accident. En la regardant on se demande, que s’est-il passé ? Y’a-t-il des blessés ?

Elle est la représentation de la rapidité avec laquelle nos vie peuvent changer à jamais.

Plus le rythme accélère, plus je voulais que la fréquence à laquelle on tourne les pages du livre augmente elle aussi.

Un voyage sans destination ?

© Aymeric Costa Real

Cette barque semble avancer seule sur le Styx, fleuve et point de passage qui mène les âmes en enfer.

Charon traversant le Styx
J. Patenier 1515-1524;
© Museo del Prado, Madrid

Tout au long du livre différents moyens de transports se succèdent, de la voiture au bateau. Mais la direction, implicite, reste la même, la mort.

© Aymeric Costa Real

Conduisons nous, nous-même notre propre traversée sur ce fleuve ? Qui se trouve derrière le volant ? Qui mène votre vie et vos décisions ? Vous ?

Vérifier son angle mort

© Aymeric Costa Real

On ne peut s’empêcher d’avancer dans la vie sans jeter compulsivement quelques coups d’oeil derrière soi. Est ce que j’ai pris la bonne décision ? Le poids des possibles s’alourdit à mesure que l’on grandit.

Ce que j’apprécie dans cette image c’est cet oeil qui nous fixe et qui fixe droit devant lui. Mais en réalité, ce n’est pas devant mais derrière qu’il regarde. Pour vérifier quelque chose, est-il à la fois le conducteur et le passager ?

C’est également l’image que mon frère a choisi pour illustrer l’un de ses sons, j’en profite pour glisser le lien ici :

Ce que l’on pense être accident mortel, se révèle être une naissance, l’échographie que l’on pensait être un électrocardiogramme laisse place à une mère et son enfant, mais celui ci est déjà grand.

© Aymeric Costa Real

Chevaucher la mort :

Le destin de l’Homme et celui du cheval sont entremêlés à travers les âges. C’est l’histoire d’une rencontre qui remonterait à la préhistoire.

Aujourd’hui, j’ai moi aussi une histoire à vous raconter à propos de cet impétueux animal.

Lorsque j’étais enfant, le cheval était mon animal préféré, mes grands parents habitant à la campagne, j’allais chaque vacances rendre visite à ceux du voisin. Un poster représentant un cheval marron, dans ma chambre chez eux y est d’ailleurs toujours accroché plus de 15 ans après.

Petite ellipse temporelle, nous sommes en 2018 cette fois.

Je décide de passer une après-midi à me balader avec mon appareil photo, et m’aventure au bord d’un étang. L’idée était d’en longer la rive, en me frayant moi même un chemin à travers la brousse. Peu à peu, en m’éloignant de tout sentier, je me retrouve au milieu de ce qui semble être un champ, et découvre avec stupéfaction un groupe de cinq ou six chevaux visiblement énervés et affolés de me trouver sur leur territoire. Non attachés, et n’ayant enjambé aucune clotûre, j’ai eu peu de temps pour comprendre la situation.

Une décharge d’adrénaline traversa mon corps tout entier quand je les vis foncer droit sur moi. Ayant à peine le temps de me retourner, je déclenche, et m’enfuis le plus vite possible par l’endroit ou j’étais arrivé quelques secondes plus tôt.

Sur cette photographie, voici l’un d’entre eux.

© Aymeric Costa Real

J’ai vraiment cru que j’allais mourir ce jour là. Et bizarrement ma première réaction fut de prendre une photo. Ce que je trouve révélateur de mes priorités. La manière dont elle est cadrée n’était pas souhaitée, j’ai déclenché en panique et finalement le hasard fait bien les choses je trouve puisque ce cheval affolé semble surgir du bord de l’image.

Ce cheval, c’est pour moi un symbole de liberté, aucune attache il galope au gré de ses envies, insaisissable.

L’un de mes films d’animation préféré restera, « Spirit ». Un mustang sauvage, qui se bat pour sa liberté et celle de ses semblables après avoir été capturé par l’Homme.

Ce film est génial et n’a pas eu la critique qu’il mérite, assez difficile à regarder, il vous fera passer par toutes les émotions. Le tour de force étant que pendant la majorité du film, ces émotions sont communiquées par des hennissements et non par la parole comme la plupart des films d’animation que nous connaissons mettant en scène des animaux.

« Et je grandis, de poulain, je devins étalon, aussi impétueux et téméraire que le tonnerre sur la plaine, galopant avec l’aigle, bondissant avec le vent. Est-ce que je volais ? Par moment, je m’en croyais capable… »

Spirit
Spirit, l’étalon des plaines – 2002

Le cheval galope, librement, et essaye de rattraper l’aigle, rêvant lui aussi de s’envoler.

Aymeric Costa Real

Étrangement, j’imagine toujours la mort comme un cavalier sur son cheval qui viendrait nous embarquer sur sa monture.

Chevalier squelette/ Skull Knight – Berserk

Une présence inquiétante de la nature :

© Aymeric Costa Real

Arbre décapité en plein jour, qui, la nuit fait place à l’ombre étendue de ses branches presque comme des tentacules, comme le membre fantôme de la nature qui reviendrait hanter l’esprit de l’homme et de son impact sur la nature une fois plongé dans un sommeil profond.

© Aymeric Costa Real

Une nature impénétrable

La vie n’est pas une fête perpétuelle. Merci pour les roses, merci aussi pour les épines

Jean d’Ormesson
© Aymeric Costa Real

S’enfoncer dans cette brousse épineuse, c’est entrer dans la vie d’adulte, c’est oser pénétrer les tréfonds de son esprit. Il y aura quelques accrochages au passage mais il faut s’y aventurer pour découvrir ce qui se trouve de l’autre côté.

Avant de s’enfoncer dans cette nature impénétrable, deux ombres marchent ensemble main dans la main.

© Aymeric Costa Real

À la sortie, il n’en reste plus qu’une, qui semble mutilée. Les plantes grimpantes, s’accrochent au mur. Est ce le retour de la civilisation ? Comment ces ombres se sont-elles séparées ? Ont-elles pris deux chemins différents ?

© Aymeric Costa Real

Entre rêve et réalité :

L’oeil voit les choses de façon plus certaine dans les rêves qu’il ne les voit par l’imagination durant la veille.ㅤ

Léonard de Vinci
© Aymeric Costa Real

Et si tout cela n’était qu’un rêve, ou bien un cauchemar ? Et si « Memento Mori » était fondé sur le rêve de mon frère allongé dans son lit. Rêvant de son futur, mélangeant ses craintes et ses désirs. J’aime imaginer la séquence des mes images comme une histoire qui se construit de toute pièce dans l’inconscient. Comme si toutes mes images se mélangeaient et formaient la séquence par elles mêmes dans mon sommeil. Tout se mélange alors le vécu et l’imaginé jusqu’à créer un entre deux comme cet état entre l’éveil et le sommeil.

© Aymeric Costa Real – mon frère

Les cheveux et la barbe ont poussé, les années sont passées, les rêves ont évolué. Il y a des associations d’images qui ne peuvent se faire que plusieurs années après. C’est l’un des pouvoirs de la photographie de pouvoir rassembler différentes périodes de nos vies en quelques pages.

En regardant attentivement, derrière le portrait se trouve un poster ou il est inscrit « Be happy », un parallèle amusant contradictoire à l’air sérieux qui se dégage de l’expression du visage. Le maquillage sous ses yeux rappelle également l’ombre des branches de l’arbre et la forme des pattes de l’araignée.

© Aymeric Costa Real
© Aymeric Costa Real

Comment cette araignée a-t-elle pu seule, envelopper tout un arbre de sa toile ?

C’est un mystère et ce qui fait l’intérêt de la photographie, elle est là pour poser des questions, pour stimuler l’imagination. Rien n’empêche alors une vitre brisée de devenir la toile d’une araignée.

© Aymeric Costa Real

Les histoires se vivent, la photographie intervient par la suite et en parallèle à celles ci pour les raconter. Photographier pour moi c’est se dissoudre dans l’espace et le temps, essayer de disparaître et raconter du mieux possible l’expérience à laquelle je participe. La reconstruction, modification de ces histoires vécues prend place dans le livre, qui pour moi est un espace d’interprétation et de réinterprétation du vécu. Un espace ou tout devient possible, deux personnes ne s’étant jamais rencontrées peuvent alors se retrouver côte à côte sur une double page, vous pouvez vous même vous retrouver face à votre vous du futur ou du passé, vous pouvez retrouver la maison de votre enfance, mélanger les formes, les époques, les couleurs, les lieux.

L’image seule est toujours frustrante pour moi car ce n’est qu’un fragment limité de l’histoire complète. C’est presque toujours une réduction du vécu. Mais en même temps je n’ai pas envie de raconter toute l’histoire, le défi est alors de n’en montrer ni trop, ni trop peu. Une fois que le livre prend forme je me sens peu à peu apaisé avec ces histoires.

L’obsession du temps qui passe

Évidemment c’est plus comme avant

Faut te faire une raison c’est l’concept du temps

Le monde est en mouvement

Porte moi dans l’courant

Orelsan, Civilisation
© Aymeric Costa Real

Cette photo représente l’acte compulsif de vérifier l’heure, aujourd’hui nous dévérouillons nos smartphones des centaines de fois chaque jour.

Combien de temps me reste-t-il ? Suis-je à l’heure ou en retard ? Quel jour sommes nous ?

Cette danse incessante du temps nous martèle l’esprit du matin au soir, de la naissance jusqu’à la mort. Mieux vaut accompagner le temps et danser avec lui plutôt que l’éviter et faire comme s’il n’existait pas, car il finira par vous rattraper et trouver votre cachette.

Ai-je arrêté le temps lorsque j’ai pris la photographie de cette montre à gousset ?

En réalité, elle ne fonctionnait pas lorsque je l’ai photographié, ce n’est pas moi qui ait stoppé le mouvement des aiguilles ni même la photographie qui fige son sujet. C’est elle qui s’est arrêté par elle-même.

À l’autre bout du tunnel :

© Aymeric Costa Real

Pour finir, voici la dernière image du livre, vous vous souvenez, au début du livre nous rentrons dans ce qui semble être un tunnel, cette dernière photographie représente l’autre bout de ce tunnel. On peut y apercevoir la lumière, et l’océan à l’horizon qui nous attend.

C’était un désir de ma part d’encadrer le projet par l’idée qu’il y ait un tunnel et contenir l’intégralité des images dans ce tunnel. 

“Memento Mori” ainsi que toutes ses images se situent donc dans ce tunnel qui mène à l’océan. L’eau, symbole de la vie, mais surtout un lieu qui représente beaucoup pour moi.

Qu’on y croit ou non, nous avons tous quelqu’un à retrouver à l’autre bout de ce tunnel.

Aujourd’hui avec la parution de ce projet, quelque chose meurt en moi, sûrement pour laisser place à un nouvelle direction artistique, de nouveaux échecs et de nouvelles réussites mais je ne peux m’empêcher de faire le deuil de ce projet. Une page se tourne. Mon œuvre entière est un memento mori. Mais ce projet l’est tout particulièrement. Avec lui, j’entretiens l’espoir égoïste que mes photographies aient une plus grande espérance de vie que la mienne.

À l’occasion, j’ai décidé de réaliser ce mini métrage pour présenter l’ambiance du projet.

En voici un aperçu sous la forme d’une vidéo, l’expérience sonore et visuelle apporte une autre compréhension du projet. Vous pouvez regarder ce court métrage sans lire le livre et inversement mais ils sont voués à se renforcer mutuellement.

La morale de l’histoire :

Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, une vie bien vécue nous mène à une mort paisible.

Léonard de Vinci

Spoiler Alert !

Le héros meurt toujours à la fin

Vous l’avez compris le héros, c’est vous, et un jour votre histoire prendra fin elle aussi. 

Alors, utilisez la mort comme une source de motivation

Vivez, aimez, photographiez tant que vous le pouvez

La vie est courte, mais la vie est assez longue. Si je continue à photographier chaque jour, c’est motivé par l’amour, motivé par la mort, motivé par l’angoisse, par la beauté de ces instants.

Merci à tous ! Je dédicace ce projet à mes proches, qui me soutiennent quotidiennement ils se reconnaîtront !

Pour ceux qui veulent se mettre dans l’ambiance sonore, je trouve que ce son correspond bien au projet. Il aborde un sujet lourd de sens avec légèreté.

C’est exactement ce que j’essaye de photographier, la naissance, la mort et tout ce qu’il se passe entre deux. Les rires, et les pleurs.

Odezenne – On naît, on vit, on meurt

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Grandiose ! Ineffable sensation procurée par ton sujet intense, profond, un projet abouti de belles captures d’images, des associations qui sont un fruit mûri Grande émotion. Une telle maturité a seulement 22 ans… Tant de lucidité, de vie émane de ce projet que l’on a envie d’archiver, de ne jamais perdre. Tellement heureuse de faire partie de tes proches à qui tu le dédie et que je me reconnais ! J’espère que dans notre société d’instantaneïté ce projet sera l’occasion pour beaucoup de se pauser, de lire, de se delecter de , de tes photos, de ton analyse rien n’est superflu, de l’emotion a l’état brut. Et si je peux me permettre de m’octroyer une certaine fierté de toi qui doit t’appartenir en tant que maman je suis très fière de ce que tu as l’art de vehiculer avec finesse. Je sais que tu y mets toute ton » âme  » toute ta sensibilité, ta passion avec tout le temps qui en découle. J’espère que ce projet photo qui n’en ai plus un puisque tu l’as aboutis » accouché « voyage,soit édité, interpelle, touche le plus grand nombre de personnes. Et en même temps, juste le fait d’être justifie sa pérennité dans le temps, merci, merci à toi et félicitations mon nem. ❤️ Je t’aime fort fort

Coucou mon grand !
Je découvre ce beau projet qui est beau, tellement vrai, et qui montre l’accomplissement d’un travail acharné et qu’il ne faut rien lâcher. Quelle belle leçon de vie, ahhhh si tous les jeunes étaient aussi lucides et intelligents dans cette époque!
Je suis très fière de toi comme toute la famille doit l’être d’ailleurs…toi et ton frère vous gagnez à être connu j’espère de tout cœur que vous allez réussir dans vos projets !
Je vous embrasse
Karine

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